Derrière l’église Saint-Guénolé et les splendides ruines de la chapelle Notre-Dame-du-Mûrier, l’ancien cimetière de Batz-sur-Mer (le cimetière nouveau, en bordure de la voie ferrée, ne présente, à l’heure qu’il est, aucun intérêt) ne manque ni de charme (il est pourtant dépourvu d’arbres mais ceux des alentours offrent de belles perspectives sur le clocher de l’église) ni d’intérêt.
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Comme dans beaucoup de cimetières, les principes écologiques prévalent désormais. La commune informe ici le public que l’emploi des produits pesticides est en baisse sensible afin de favoriser l’épanouissement d’une flore spontanée.

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Au centre, contre le mur du fond, se dresse la stèle, ornée de deux médaillons de bronze, du sculpteur Marcel Lehuédé (1886-1918), prix de Rome, mort au printemps 1918, victime de ses blessures de guerre.

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Il fut intoxiqué au gaz; son épitaphe le mentionne en n’employant pas le terme usuel gazé, mais gazéfié (et non point gazéifié).

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Depuis ma précédente visite, un petit columbarium a été aménagé auprès de la sépulture de Marcel Lehuédé.

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Le monument le plus spectaculaire du lieu est situé lui aussi dans le fond du cimetière, contre le mur de droite : le tombeau du mathématicien russe Paul Urysohn (1898-1924).
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Spécialiste de topologie, professeur à l’université de Moscou, il laissa son nom à un lemme (prélude à la démonstration d’un théorème) et découvrit une des premières conditions suffisantes de métrisabilité. Il mourut à seulement 26 ans (on meurt souvent bien jeune chez les mathématiciens : Abel, Clifford, Galois…), pendant ses vacances, projeté sur les rochers au large de la bouée de Basse Love, un jour d’août 1924.

Son ami Pavel Alexandrov (1896-1982), qui publia ses travaux sur la dimension topologique, a conté les circonstances du drame :
À 5 h nous sommes partis nous baigner. Quand nous sommes arrivés dans l’eau, une sorte de malaise nous a envahi. Si seulement j’avais dit : peut-être que nous ne devrions pas nager aujourd’hui… Mais je ne prononçais aucune parole… Après un moment d’hésitation, nous avons donc nagé, mais la sensation suivante fut le sentiment d’une force indescriptible qui m’a soudainement attrapé et semblait venir du Vénézuela ! Un instant plus tard, je revins à moi, sur le rivage. J’avais été jeté là par la seule force d’une vague, Quand je fus debout je vis Pavel au milieu des rochers dans une position demi-assise. J’ai immédiatement nagé vers lui, puis je mis mon bras droit autour de lui au-dessus de sa taille, et avec mon bras gauche et mes jambes, j’ai pagayé de toutes mes forces. Ce fut difficile, mais personne ne vint à mon aide. Enfin, quand je fus arrivé près de la rive, quelqu’un me jeta une corde, et une autre personne m’expliqua que la même grande vague qui m’avait jeté sur le rivage, avait fait frapper la tête d’Urysohn contre un des rochers, et que par la suite, il avait commencé à rouler, impuissant sur les vagues. Je sentais la chaleur de son corps dans ma main, et j’ai pensé qu’il était vivant. Certaines personnes ont alors couru jusqu’à lui, et ont commencé à lui prodiguer la respiration artificielle. Parmi ces personnes, il y avait un médecin. Au bout d’un temps assez long, je lui ai demandé ce qu’il en était et que comptait-il faire ? C’est alors qu’il m’a répondu : Que voulez-vous que je fasse avec un cadavre ?

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La municipalité continue d’entretenir sa sépulture que protège une belle grille en fer forgé.

Non loin de la tombe de Paul Urysohn, une plaque in memoriam rend hommage à un homme décédé en 2015 dont les cendres ont été immergées au large de cette fameuse bouée de Basse Love.

Mentionnons aussi la chapelle de la famille Vaucourt-Singer dont le patriarche fut un bienfaiteur de la commune (la rue qui mène au cimetière est la rue Vaucourt-Singer) et la dalle d’un ancien maire de Batz, professeur de l’Université, Pierre-Marie Saffré (+ 1868, à 60 ans).

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N’oublions pas les nombreuses tombes de prêtres alignées dans l’allée centrale et notons que l’un d’entre eux, l’abbé Dugast (son nom ne sera bientôt plus lisible sur la pierre), fut particulièrement actif puisqu’il fonda à Batz l’Oeuvre du Tabernacle, les Choeurs de chants, la Communion mensuelle, le Secours mutuel, la Caisse rurale et maritime, la Mutualité contre la mort du bétail (etc. dit l’épitaphe) et qu’il restaura l’église communale, la chapelle de Kervalet, les ruines de Notre-Dame-du-Mûrier, la Confrérie du rosaire, les archives (à nouveau etc.).

Enfin, une particularité qui m’avait frappé lors de mon précédent passage et que ce nouvel inventaire a confirmée : le nombre impressionnant de tombes portant ici le nom Lehuédé. Où que se pose le regard (un monument moderne rend hommage aux anciens combattants morts des suites de guerre : parmi les huit cités, trois s’appelaient Lehuédé), il rencontre ce patronyme, à ce point fréquent que ses détenteurs rivalisent d’originalité dans le choix de leurs prénoms : Jean-Clair, Rogatien, Théodule, Isaline, Scholastique et même Ananie !