D’abord un lieu nimbé d’une légende tenace (je m’en étais vraiment rendu compte lorsqu’en 1995, invité à signer mon Guide des cimetières en France à la Fête du livre de Limoges, de nombreuses personnes me l’avaient affirmé sans dissimuler leur fierté) : le cimetière de Louyat serait le plus grand de France et, dans certaines versions, le plus grand d’Europe !
Tempérons les enthousiasmes…
Il s’agit, certes, d’une vaste nécropole, ouverte au printemps 1806, soit deux ans tout juste après le Père-Lachaise, et qui d’agrandissement en agrandissement (il y en eut sept, le dernier en 1950) vit sa superficie passer de 9 à 35 hectares, soit juste un peu plus (pour les connaisseurs) que le cimetière du Sud à Lille. Mais beaucoup moins, par exemple, que le Père-Lachaise, les cimetières parisiens de Bagneux, Thiais ou Pantin, le cimetière Saint-Pierre de Marseille et de très nombreux cimetières européens…
On est frappé dès l’entrée par l’impressionnante allée centrale, la seule à être arborée, à la majesté sévère.
En partant de l’entrée principale, savoir que la grande majorité des tombeaux historiques et dignes d’intérêt se trouve dans son immédiate proximité (le cimetière d’origine, 1806-1839, est situé à droite). Prendre le temps néanmoins de s’aventurer jusqu’au bas du site, sur la gauche, où se trouvent les carrés les plus récents pour profiter, grâce à la pente, de cette vue rare et si spectaculaire sur un océan de tombeaux du XXè siècle !
Louyat est de ces cimetières qu’il faut fuir les jours de pluie ou de grande chaleur (aucun abri) mais qui, en demi-saison, offre un but original de promenade (prévoir deux heures au minimum) dans l’histoire de Limoges.
Aucune célébrité de premier ordre à retrouver ici mais une foule de porcelainiers, d’émailleurs et de peintres, de soldats et de résistants, ainsi que deux noms liés à la culture populaire des années 60 et 70 : Mario David et François Reichenbach.
Autre intérêt du site, la splendeur de ses médaillons de porcelaine (se procurer le superbe livre Des funérailles de porcelaine de Jean-Marc Ferer et Philippe Grandcoing, publié en mars 2000, aux éditions Culture et Patrimoine en Limousin).
Les amateurs d’architecture funéraire se délecteront en admirant les grandiloquentes chapelles funéraires mêlant tous le styles, néo-gothique, égyptien, baroque, pseudo-médiéval, éclectique, dans un festival de pierre, ainsi que les enclos familiaux :
Un seul gisant, quelque peu énigmatique, qui trône sur la sépulture de la famille Texier.
Voici mon relevé des personnages illustres reposant à Louyat. Il n’est évidement pas exhaustif.
Eugène ALLUAUD (1866-1947), peintre impressionniste et céramiste. Petit-fils de François Alluaud.
François ALLUAUD (1778-1866), porcelainier. Il fut aussi maire de Limoges de 1830 à 1835 et fonda la Société Archéologique et Historique de la ville.
Charles ARDANT du PICQ (1821-1870), colonel et théoricien militaire. Son livre Études sur le combat démontre l’importance de la psychologie du soldat dans la guerre moderne. Il mourut des suites d’une blessure reçue lors du combat de Longeville-lès-Metz en août 1870. Son filleul était le poète Jean Richepin (inhumé avec Raoul Ponchon au cimetière de Pléneuf-Val-André, en Côtes d’Armor) et une de ses actuelles descendantes, la comédienne Fanny Ardant.
Léonard BERNARDAUD (1857-1923), porcelainier. Les lecteurs de ces lignes âgés de plus de cinquante ans ont encore dans l’oreille la mélodie publicitaire si souvent diffusée à la télévision dans les années 70.
Léon BETOULLE (1871-1956), homme politique, qui fut maire (SFIO) de Limoges pendant 39 (!) ans, d’abord de 1912 à 1941 (où son conseil municipal fut révoqué) puis de 1947 à 1956. De la Haute-Vienne, il fut aussi député (1906-1924), sénateur (1924-1944) et président du Conseil général (1929-1940).
Son épitaphe exagère gentiment en le proclamant Maire de Limoges pendant un demi-siècle.
Charles Théodore BICHET (1863-1929), peintre impressionniste.
Ernest BLANCHER (1855-1935), émailleur.
Paul Antoine BONNAUD (1873-1953), émailleur, élève d’Ernest Blancher.
Louis BOURDERY (1852-1901), émailleur.
Raymond BOUSQUET (1899-1982), diplomate et homme politique, ambassadeur de France en Belgique (1956-1962) puis au Canada (1962-1965). Il fut aussi député (UDR) de Paris de 1967 à 1973. L’accident d’auto qui lui fut fatal coûta aussi la vie à son épouse et à sa soeur. Seule la première repose avec lui.
Pierre CHASTAINGT (1795-1849), médecin et philanthrope.
Léonard CORONAT (+ 1868), médaillé de Sainte-Hélène.
Henri COUTHEILLAS (1862-1927), sculpteur qui digne plusieurs monuments aux morts en Limousin.
Nicolas Célestin CUISSET (1787-1862), Garde particulier de la Maison du Roi en 1829.
Mario DAVID (1927-1996), comédien vu dans de nombreux films populaires.
Il fut ainsi l’inoubliable masseur du film (et de la pièce de théâtre) Oscar, au côté de Louis de Funès.
Ils eurent ensemble, sur scène, un fameux début de fou rire prouvant leur complicité.
Louis Adrien DUBOUCHÉ (François-Louis Bourcin-Dubouché) (1818-1881), homme d’affaires (d’abord dans le négoce des draps puis dans celui du cognac), maire de Limoges en 1870 mais surtout célèbre mécène et spécialiste de la céramique. Son nom fut donné au musée national de Limoges.
Georges DUMAS (1895-1944), résistant. Fusillé à Brantôme en mars 1944 avec vingt-cinq de ses camarades, en représailles à un attentat contre des officiers allemands. Reconnu Juste parmi les Nations, il était le père de l’avocat et homme politique Roland Dumas.
François Victor DUPUY de SAINT-FLORENT (1773-1838), général de la révolution et de l’Empire.
Armand DUTREIX (1899-1943), résistant, fusillé au Mont-Valérien.
Jean-Marie EUZET (1905-1980), peintre aquarelliste.
Louis GOUJAUD (1865-1920), conseiller général, adjoint au maire de Limoges. Il fut l’Ami du Peuple. Élu de la classe ouvrière, il lui consacra sa vie.
Guillaume GRÉGOIRE de ROULHAC (1751-1824), lieutenant-général, maire de Limoges de 1785 à 1789, député du tiers aux États généraux, député de la Haute-Vienne de 1802 à 1809, baron d’Empire.
Louis GUIBERT (1840-1904), historien du Limousin (entre autres de son histoire religieuse) mais aussi poète et auteur de contes et récits. Une de ses oeuvres s’intitule La Cornichonnerie d’un malin cornichon.
Raoul HAUSMANN (1886-1971), écrivain, peintre et photographe autrichien, membre de Dada.
Il fut un des premiers artistes à pratiquer le photomontage. On le surnommait le Dadasophe.
Charles HAVILAND (1839-1921), porcelainier, fils de David. Inhumé dans un enclos distinct de celui de son père, dans la section 17.
David HAVILAND (1814-1879), porcelainier, fondateur de l’entreprise Haviland. L’enclos funéraire des Havilland se trouve tout au fond de l’allée centrale, à droite, près de l’entrée.
Théodore HAVILAND (1842-1919), porcelainier, fils de David.
Louis Léon JOUHAUD (1874-1950), émailleur.
Émile LABUSSIÈRE (1853-1924), maçon devenu homme politique. Il fut maire (radical-socialiste) de Limoges de 1889 à 1892 puis de 1895 à 1906 mais aussi député (1893-1906) de la Haute-Vienne.
Louis LONGEQUEUE (1914-1990), homme politique.
Successeur de Léon Betoulle (voir plus haut), il fut maire (PS) de Limoges de 1956 à 1990 (hormis la période 1941-1947, la ville n’a connu que deux maires entre 1912 et 1990 !) mais aussi député (1958-1977) et sénateur (1977-1990) de la Haute-Vienne.
Joseph LUGNOT (1780-1857), général de brigade qui avait combattu sous l’Empire et été grièvement blessé à Waterloo.
Georges MAGADOUX (1909-1983), peintre et émailleur.
Alpinien MARGAINE (1825-1878), peintre.
Thérèse MENOT (1923-2009), héroïne de la Résistance, déportée à Ravensbrück. Un beau film de près d’une heure a été consacrée à cette femme exemplaire.
Roger MERLET (1924-2012), maître-chaussonnier dont les créations étaient saluées par les plus grands noms de la danse.
François MIRAMOND de LAROQUETTE (1871-1927), médecin militaire, pionnier de la luminothérapie.
Jean-Louis PAGUENAUD (Jean-Philippe Paguenaud) (1876-1952), peintre , élève de Bouguereau, reçu en 1922 peintre officiel de la Marine.
Pierre-Marcel PARISELLE (1917-2009), résistant.
Othon PÉCONNET, maire de Limoges de 1862 à 1867.
Charles PLANCKAERT (1862-1933), architecte. On lui doit, entre autres, le musée Bonnat de Bayonne.
Martial PRADET (1905-1944), résistant, fusillé en même temps que Georges Dumas (voir plus haut).
Paul-Élie RANSON (1861-1909), peintre, membre du groupe des nabis. Il mourut de la typhoïde.
François REICHENBACH (1921-1993), réalisateur dont es documentaires dédiés à de grandes figures du XXè siècle (Orson Welles, Pelé, Johnny Hallyday, Karajan, Brigitte Bardot…) sont demeurés des références. Celui qu’il consacra à Artur Rubinstein (L’Amour de la vie) lui avait valu un Oscar en 1970.
Il repose dans un vaste enclos familial, dans la section juive du cimetière. Sa phrase « Ceux qui m’aiment prendront le train », évoquant son futur enterrement à Limoges, est devenu, on le sait, le titre d’un film de Patrice Chéreau. Il était le neveu du fabuleux collectionneur Jacques Guérin.
Léon ROBIN-ROBY (1871-1947), fondateur et directeur du Conservatoire de musique de Limoges.
William ROSE (+ 1841), capitaine de la Marine royale des Indes orientales.
Jean-Baptiste RUBEN (1818-1900), orfèvre et émailleur.
Jean-Joseph SANFOURCHE (1929-2010), peintre et sculpteur, représentant de l’art brut. Inhumé auprès de son père, Arthur SANFOURCHE (+ 1943) qui, avant d’être fusillé pour faits de Résistance, était le mécanicien de l’aviatrice Maryse Bastié, inhumée au cimetière Montparnasse.
Jules SARLANDIE (1874-1936), émailleur.
Martial VALIN (1898-1980), général, Compagnon de la Libération.
Camille VARDELLE (1883-1905), jeune employé d’une porcelainerie, tué (par des balles françaises) lors d’une émeute ouvrière (il en fut la seule victime). Il fut écrit que la balle en question pouvait être une balle perdue.
Ajoutons la mention de plusieurs carrés militaires dont un allemand.
Peu d’épitaphes originales (mentionnons le prénom Céphasie) a priori mais alors que j’avais noté un chef de bataillon mort en 1937 en manoeuvres alpines et une plaque (Je reverrai tes yeux dans les couloirs de mes rêves , qu’un souffle les enlève, j’éventrerai les cieux), j’ai découvert ces deux textes apposés récemment sur la même stèle :
La vie est ce miracle qui nous fait penser, aimer, agir dans un monde inerte en perpétuelle dégradation. Nous sommes la poussière et l’eau de la terre, mais arrangés autrement en réseaux subtils.
La mort détruit ce miracle quand la vie s’essouffle, la force faiblit et la lutte devient impossible. Les molécules reprennent leur liberté.
Nous ne sommes que le maillon d’une chaîne infinie dont le début et la fin nous seront à jamais cachés. Nous pouvons bien nous insurger, la réalité nous rappelle à l’ordre.
L’éternité fascine et fait tomber les doutes. C’est vouloir continuer la vie dans un mirage sublime, se relever, enfin, des douleurs du vivant mais c’est aussi s’absoudre des devoirs de la vie : communiquer.
L’au-delà a séparé les civilisations, fait affronter les peuples, contraint les sociétés et posé à chacun un impossible défi. Les hommes furent trop bavards et ont occulté le message divin.
À Nelly, ma femme,
Née après la Grande Guerre en 1922, tu grandis dans le bonheur des enfants choyés. Ton adolescence fut gravement perturbée toujours par la guerre et le décès de ton père encore jeune dont tu étais si proche. La période ne fut pas, non plus, favorable à la liberté des jeunes filles.
Notre vie se déroula après les événements dramatiques au moment où la paix et les évolutions ouvraient de grands espoirs.
Tu mis tout ton coeur à faire de notre vie familiale un havre de douceur, de perfection et d’amour. Enfants et petits-enfants ont profité de ta disponibilité, de ton courage, de ta dignité pour s’épanouir.
Personnellement, je n’aurais, sans doute, pas accompli toutes mes tâches sans tes encouragements et la certitude de ton amour sans faille.
Ta mort est arrivée trop tôt. Notre société qui a poussé loin la longévité et ton hérédité auraient dû te prolonger encore de nombreuses années. Ce drame en fut d’autant plus douloureux.
Je t’aime…
Jacques
Notons que c’est un cimetière où on se soucie du tri des déchets : fleurs artificielles, céramiques et plantes naturelles ont chacune leur bac.
Enfin, en dépit des 40000 sépultures qui le peuplent, l’endroit est loin d’être plein…
Adresse :
2 square du Souvenir-Français.
Horaires (il s’agit ici des horaires des « visiteurs » car les « professionnels » ont accès au cimetière toute l’année dès 8 heures…) :
Du 3 novembre au 31 mars : 9h – 17h30.
Du 1er avril au 2 novembre : 9h – 19h.