Bien caché dans la campagne normande, un petit cimetière magnifique, en surplomb de la vallée de l’Eure, autour de ce qui serait une des plus vieilles églises de la chrétienté médiévale, sa construction remontant au Xè siècle. Le site est classé depuis 1934 et la présence du personnage illustre qui y repose n’y est pas pour rien.

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Nous y rendons visite à une des célébrités les mieux connues de nos facteurs. Quelle ville française ne possède pas une artère dédiée à Aristide BRIAND (1862-1932) ?

Il suffit d’ouvrir Premiers ministres et président du Conseil, Histoire et dictionnaire raisonné (sous la direction de Benoît Yvert, Perrin, 2002) pour que le premier paragraphe de sa (longue) notice (rédigée par Philippe Nivet) nous explique pourquoi :
Aristide Briand, onze fois président du Conseil, reste à ce jour l’homme politique qui a présidé le plus grand nombre de cabinets de notre histoire. Plus de vingt fois ministre, il est le personnage que l’on cite le plus souvent pour appuyer la thèse nuançant l’instabilité du régime par la stabilité de son personnel politique.

Ce fils d’aubergistes de Loire-Inférieure (ainsi était baptisée jusqu’en 1957 la Loire-Atlantique) se révéla d’abord un exemple de méritocratie sous la IIIè République.
Boursier, lauréat du Concours général, il choisit la carrière d’avocat et devint en 1902 député socialiste (il quitta ensuite rapidement les rangs du parti pour se rapprocher du centre) de la Loire (il le fut ensuite de la Loire-Inférieure et seule la mort interrompit une présence de près de trente ans au Palais-Bourbon). Marchepied vers un destin national qui le vit à la tête de différents ministères, essentiellement régaliens, avec une prédilection pour l’Intérieur, la Justice et surtout les Affaires étrangères, maroquin qui lui fut confié à dix-sept reprises dont sept en cumul avec la présidence du Conseil.

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Personnage inamovible de l’entre-deux-guerres, profondément pacifiste, négociateur français des accords de Locarno en 1925, ce qui lui valut d’être l’année suivante co-lauréat du prix Nobel de la Paix avec son homologue allemand, Gustav Stresemann, il incarna l’élite au pouvoir dans la France des années vingt, soutenue par l’opinion mais désavouée par la postérité pour avoir été incapable de préparer le pays aux années de crise et au péril germanique.

À force de louvoiements, il finit par être la cible aussi bien de la gauche qu’il avait abandonnée que de l’extrême-droite monarchiste comme en témoigne le célèbre éreintement que lui réserva un an seulement après sa mort Léon Daudet (Député de Paris, Grasset, 1933) :

Ignare à fond, mauvais bougre, fielleux, vanitorgueilleux, capable des pires intrigues et perfidies, tel se présentait alors celui qui devait se révéler bientôt comme le plus redoutable ennemi de son pays. On eût pu lui appliquer le mot de La Rochefoucauld : « La faiblesse est plus l’opposé de la vertu que le vice. » Tout en lui était veule, l’allure, le regard d’eau sale, avec un crapaud endormi au fond, la démarche hésitante, l’écendrement de la cibiche ou cigarette, le cheveu long et pelliculaire, l’insinuation grave et même « ah, Messieurs combien grâve », avec un accent circonflexe ; tout suait la vadrouille et le désordre de la chambre meublée, où le maquereau et croupier passe son habit taché et sa chemise souillée devant sa glace dépolie ; tout, dis-je, sauf la voix puissante, profonde, reprochante, insinuante à volonté, la contrebasse du cabot idéal. Je l’appelais, cette voix, son violoncelle, et il en tirait des effets tziganes à faire pâmer la dame de comptoir.

Séduit par le village à l’occasion d’une partie de chasse, Aristide Briand y séjourna à plusieurs reprises avant d’y faire l’acquisition d’une propriété et de le choisir comme lieu de sépulture.
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Ce fut un autre parlementaire célèbre pour son éloquence et sa longévité politique qui prononça son oraison funèbre, Édouard Herriot (inhumé, évidemment, à Lyon, à l’entrée du cimetière de Loyasse).

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Il ne fut pas jugé utile de graver tous les titres d’Aristide Briand sur le granit de sa colossale pierre tombale qui eût alors été noyée.
À l’écart des autres concessions, il trône face à un paysage bucolique et splendide en toute saison.

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Lucie JOURDAN (1883-1957), sa compagne, repose également dans ce petit cimetière qu’il ne faut pas confondre avec celui d’Houlbec, situé sur la même commune, mais distant de plusieurs kilomètres.

Si vous vous rendez sur place, cherchez aussi la tombe d’un homme décédé en 1984, parfait homonyme d’un comédien célèbre.