Un endroit des plus bucoliques, à condition de ne pas regarder les immeubles modernes alentour (veiller au bon cadrage de ses photos).
Ici, l’église, Saint-Germain-de-Charonne (celle de la scène finale des Tontons flingueurs) a conservé autour d’elle son cimetière (la chose est rare à Paris et ne se retrouve qu’à Montmartre, au cimetière du Calvaire) et même si l’édifice est bien malade (d’importants travaux de consolidation y ont été entrepris) et les sépultures trop souvent de facture moderne, il émane de l’ensemble une harmonie toute provinciale, à goûter un jour de soleil.
On y croise des intellectuels d’extrême-droite (Bardèche et Brasillach), des destins foudroyés (Josette Clotis et ses fils, ou encore la jeune Charlotte Jamotte), l’ombre des Communards et la statue étonnante d’un drôle de paroissien.
La maison du gardien, noyée dans la verdure, peut susciter quelque envie.
Maurice Bardèche (1907-1998), écrivain et intellectuel, figure majeure de l’extrême-droite. Beau-frère de Robert Brasillach (voir ci-dessous) avec qui il écrivit une Histoire du cinéma ainsi qu’une Histoire de la guerre d’Espagne, il tenta jusqu’à sa mort d’obtenir sa réhabilitation. On lui doit, par ailleurs, des biographies de Balzac, Léon Bloy, Proust ou Stendhal. Sa veuve, Suzanne Bardèche (1910-2005), née Brasillach, repose avec lui.
Gérard Bauër (1888-1967), critique littéraire, membre de l’académie Goncourt. Fils d’Henry Bauër (voir ci-dessous) auprès de qui il repose.
Henry Bauër (1851-1915), écrivain, journaliste et critique de théâtre, membre de la Commune (il fut déporté en Nouvelle-Calédonie), père de Gérard Bauër qui fit transférer ici les restes de son père précédemment déposés à Chatou. Son véritable prénom, Henri, est gravé sur la stèle. Il était l’un des très nombreux enfants naturels d’Alexandre Dumas.
François Bègue dit Magloire (1750-1837) dont la statue domine le site, le montrant avec son tricorne, une rose dans une main et sa canne dans l’autre, et dont l’épitaphe proclame :
Ycy repose
Bègue dit Magloire
Peintre en bâtiments
Patriote, poète
Philosophe et secrétaire
de Monsieur
De Robespierre
1793
Il y avait de l’affabulateur chez cet homme qui ne travailla jamais au service de Incorruptible mais fut une figure pittoresque de l’ancien village de Charonne. Il fit édifier lui-même sa sépulture où il désirait que fût déposé du vin le jour de son enterrement. La cérémonie ne fut pas lugubre si l’on en croit ce texte du temps :
Il nous faut chanter à la gloire
De Bègue François-Eloi
Ami rare et sincère
Fit mention dans son testament
Qu’il fût enterré en chantant
Pour le fêter en bon vivant
Il nous laissa chacun cinq francs
En vrais disciples de Grégoire
Versons du vin et puis trinquons
Buvons ensemble à sa mémoire
C’est en l’honneur de son trépas
Qu’il a commandé ce repas.
Robert Brasillach (1909-1945), écrivain, journaliste et critique de cinéma. Fasciné par l’idéologie fasciste, il entra dans la Collaboration et fut même rédacteur en chef de Je suis partout. Condamné à mort à la Libération, le général de Gaulle lui refusa sa grâce. Il fut fusillé au fort de Montrouge. Beau-frère de Maurice Bardèche (voir ci-dessus), il avait décrit le charme du cimetière de Charonne dans son roman Les Sept couleurs.
Pierre Blanchar (1892-1963), comédien qui obtint l’un de ses plus beaux rôles dans La Symphonie pastorale.
Josette Clotis (1910-1944), journaliste et romancière, compagne d’André Malraux à qui elle donna deux fils, Gauthier et Vincent (voir plus bas), morts accidentellement et inhumés avec elle. Son destin ne fut pas moins tragique : elle eut les jambes broyées par un train après avoir glissé sur le quai de la gare de Saint-Chamant (Corrèze). Bien que n’ayant jamais épousé Malraux, elle porte son nom sur la tombe.
Bernard Ganachaud (1930-2015), maître boulanger, inventeur de la « Flûte Gana ».
Isabelle Ganachaud (1958-2013), boulangère de renom, fille de Bernard Ganachaud dont elle avait avec sa soeur repris le flambeau, entre autres rue des Pyrénées.
Jean-François Lauze (1905-1957), peintre.
Claire Maitrot-Trappest (1991-2015), jeune victime de l’attentat survenu au Bataclan le 13 novembre 2015.
Gauthier Malraux (1940-1961), fils d’André Malraux et Josette Clotis (et non Madeleine Lioux comme l’écrivit un célèbre hebdomadaire, erreur parfois reprise), mort avec son frère Vincent dans un accident automobile. Son prénom complet était Pierre-Gauthier (seul Gauthier apparaît sur la tombe).
Vincent Malraux (1943-1961), frère cadet du précédent, mort à ses côtés. Il était par ailleurs le filleul de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle.
Paul Marion (1899-1954), journaliste et homme politique. D’abord communiste et pacifiste, il suivit Jacques Doriot au parti populaire français et devint secrétaire d’Etat du régime de Vichy. Condamné à dix ans de travaux forcés en 1948, il fut gracié en 1953 et mourut l’année suivante.
Daniel Milhaud (1930-2014), peintre et sculpteur, fils du compositeur Darius Milhaud (inhumé à Aix-en-Provence), sous une de ses oeuvres et cette épitaphe, très originale : « Nez – Vert – Mort ».
Marie de Miribel (1872-1959), infirmière et résistante, fondatrice de l’Oeuvre de la croix Saint-Simon. Au terme d’une vie exceptionnelle consacrée aux plus démunis et qui l’avait vue en 1944 devenir une des premières conseillères municipales de Paris, elle refusa la Croix de guerre ainsi que la Légion d’honneur.
Gabriel Petitjean (1879-1915), aviateur, mort pour la France, abattu le 22 septembre 1915, non loin de Pont-à-Mousson.
François Pomerel (+ 1851), confiseur de la duchesse de Berry, ancien propriétaire du pavillon de l’Ermitage tout proche.
Emmanuelle Riva (1927-2017) qui, de Hiroshima mon amour (1959) à Amour (2012), qui lui valut le César de la meilleure comédienne (ainsi qu’une nomination aux Oscars), illumina de sa présence tant de pièces de théâtre et de films.
Peu de prénoms rares à glaner ici hormis Alfredine et Balthasard (rarement ainsi orthographié), ce dernier né en Avignon.
En revanche, plusieurs épitaphes se distinguent, tel cet extrait de L’Enéide : Non ipsa in morte (Même la mort ne leur apporte pas le repos).
Jadis, on voyait encore sur la tombe de la famille Papier (non loin de Brasillach) trois mains gravées enlacées, celle du père, de la mère et du fils, ce dernier confessant : Je tiens cordialement la main de mon père ainsi que celle de ma mère. Le monument existe encore mais l’inscription est devenue quasi illisible.
Les associés et les employés de Charles Mazelier (1903-1954) soulignent que trop tôt disparu, le malheureux est mort à la tâche.
Sur la dalle en bronze ouvragé de Jean-Eric Vidal (1926-1952) se lit cette inscription :
La joie est parfaite, impensable, éternelle dans le Père, le Fils et le saint Esprit. On mentionne aussi la date de baptême du défunt, le 5 mai 1928.
Ces exemples ne sont toutefois rien en regard de ce texte poignant et détaillé :
À Trevillers (Doubs), le 10 septembre 1925
Mademoiselle Charlotte Jamotte
Institutrice de la Ville de Paris
Née à Paris le 5 janvier 1905
Périt dans la gaîté d’une excursion
Retour de Suisse l’auto-camion
Transportant la colonie scolaire
En vacances à Vermondans (Doubs)
Heurta violemment un arbre de la route
La surveillante, au service de
L’association des Instituteurs
FUT TUÉE
Parmi les enfants qui l’aimaient.
Le long d’un des murs, une plaque rappelle aussi le drame de la Commune au printemps 1871 :
Ici en 1897
Furent réinhumés
Sans épitaphe de nombreux
FÉDÉRÉS
Fusillés sommairement en 1871
Et enterrés à la hâte
Avec leurs uniformes
Dans des fosses communes du cimetière
Alors situées à l’emplacement
Des actuels réservoirs.
(Il s’agit des réservoirs d’eau situés de l’autre côté de la rue).
Pour bouquet final, celui de cette demoiselle d’autrefois que le temps n’a pas encore fané.
Adresse :
119 rue de Bagnolet.
Métro : Gambetta ou Porte de Bagnolet.
Horaires :
du 16 mars au 5 novembre :
de 8h à 18h du lundi au vendredi
de 8h30 à 18h les samedis
de 9h à 18h les dimanches et jours fériés
du 6 novembre au 15 mars :
de 8h à 17h30 du lundi au vendredi
de 8h30 à 17h30 les samedis
de 9h à 17h30 les dimanches et jours fériés