Halte dans les monts d’Arrée, en plein coeur du Finistère.
Il n’y aurait guère de chose à dire sur le cimetière de Huelgoat (situé à la sortie sud de la commune et bordé par le stade municipal), hormis comme partout en Bretagne un imposant calvaire, si n’y reposait depuis bientôt un siècle un écrivain de première importance.
Au milieu des monuments modernes, une pierre brute et quelque peu de guingois porte le nom de Victor Segalen (1878-1919) qui fut tout à la fois poète, romancier, philosophe, sinologue et archéologue.
Né à Brest, d’abord médecin dans la Marine, il voyagea en Polynésie puis ramena des îles Marquises les affaires et les dernières oeuvres de Paul Gauguin. Il se rendit également en Nouvelle-Calédonie ainsi qu’à Djibouti.
Passionné par la civilisation chinoise, ayant appris la langue, il fit trois longues expéditions dans l’Empire du Milieu, dont l’une consacrée à l’étude des monuments funéraires de la dynastie des Han. En 1912 parut, à Pékin, Stèles, recueil de poèmes à thèmes chinois, demeuré son ouvrage le plus célèbre avec le roman René Leys. Son oeuvre, considérable (sa seule correspondance compte plus de 1500 lettres), fut publiée pour l’essentiel à titre posthume.
Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale, sombrant peu à peu dans la dépression, il fut retrouvé mort dans la fascinante forêt de Huelgoat, un exemplaire de Hamlet auprès de lui. Comme le dit joliment Simon Leys (voir plus bas) : Ceux qui le connaissaient conclurent au suicide; ceux qui l’aimaient conclurent à un accident.
Son nom figure, mais seulement depuis 1934, au Panthéon, sur la liste des écrivains morts pour la France.
Avec lui reposent sa femme, Yvonne (1884-1968) et un de leurs fils, Yvon Segalen (1906-2000) qui, joueur du Stade Français, fut trois fois sélectionné en équipe de France de football !
Bientôt un siècle après sa mort, l’influence de Segalen ne cesse de s’étendre.
L’écrivain et sinologue Simon Leys (1935-2014) lui devait son nom de plume : en 1971, au moment de publier Les habits neufs du président Mao, il me fallut, au pied levé et pour de triviales raisons bureaucratiques, le signer d’un pseudonyme. Si j’osai alors emprunter mon patronyme fictif au chef d’oeuvre de Segalen, c’est tout simplement parce que, à ce moment-là, René Leys, complètement épuisé et introuvable depuis plus de vingt ans, n’éveillait plus d’échos que dans la mémoire d’une poignée d’admirateurs fidèles, amoureux de littérature, un peu frottés de Chine, et c’était à ces happy few, mes semblables, mes frères, que j’adressais ainsi un innocent clin d’oeil. Eussé-je pu soupçonner alors que l’oeuvre de Segalen allait justement connaître un prodigieux regain d’intérêt, je me serais modestement choisi quelque autre banal patronyme flamand, Beulemans ou Coppenolle – mais maintenant il est évidemment un peu tard pour changer. (Le Figaro littéraire, 3 février 2005).
Autre admirateur de sa pensée nietzschéenne, Michel Onfray venu à Huelgoat en septembre 2016 parler de Victor Segalen.
Par ailleurs, trop de monuments contemporains dans ce cimetière pour retenir le visiteur en quête de fragments historiques.
Sur plusieurs tombes, des photos de bretonnes portant leur coiffe et, pour seule épitaphe notable, sur la tombe d’une femme, un extrait (avec quelques modifications) des Stances à Marquise de Corneille :
Si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez pas (sic) mieux
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront;
Il fera (sic) faner vos roses
Comme il a ridé mon front
On m’a vue (sic) ce que vous êtes,
Vous serez ce que je suis.