Parfait exemple d’un cimetière de village aux richesses insoupçonnées. À l’écart du bourg, sur la route de Calvisson, dans un paysage dominé par la vigne, ce bel enclos apaisant aligne ses chapelles protestantes sous les cyprès. Non content d’être l’ultime asile de plusieurs célébrités, il abrite aussi de très originales épitaphes.
Bosc Jean (1924-1973), dessinateur dont l’oeuvre grinçante séduira encore bien des générations. Lauréat du grand Prix de l’humour noir 1970, il se suicida. Sur le monument familial, son célèbre dessin représentant deux cortèges funèbres en train de se croiser.
Chapron Marcel (1907-1992), préfet honoraire. La raison fut son guide. La beauté sa Lumière (épitaphe).
Doumergue Gaston (1863-1937), président de la République de 1924 à 1931. Il avait auparavant présidé le Conseil (de décembre 1913 à juin 1914) puis le Sénat.
Très populaire, celui que les Français surnommaient « Gastounet » fut atypique à plus d’un égard. Protestant, franc-maçon, homosexuel, il demeura longtemps célibataire avant de prendre épouse quelques jours avant de quitter l’Elysée. Après son septennat il redevint durant quelques mois président du Conseil lors de la constitution du cabinet d’union nationale en février 1934.
La plaque fixée à l’avant du tombeau rappelle qu’il eut droit à des obsèques nationales en juin 1937.
Avec lui est inhumée sa femme, Jeanne (1879-1963).
Son monument voisine avec la tombe de ses parents, Pierre Doumergue (1824-1891), viticulteur, et Françoise Doumergue (1826-1920). Dans le village se trouve la maison où il naquit et mourut (plaque et buste).
Encontre Marcel (1896-1944 ou 1945 selon les sources), résistant, membre du réseau « Combat ». Employé à la préfecture du Gard, il fournissait de faux papiers aux réfractaires du STO. Plaque in memoriam ornée du drapeau français.
Girard Eugène (1868-1949), général de brigade. Épitaphe de son épouse : Elle était toute petite mais son coeur était plus grand qu’elle.
Jamais Émile (1856-1893), avocat et homme politique, député du Gard, sous-secrétaire d’État aux Colonies, mort prématurément, syphilitique, à 37 ans. Ses obsèques rassemblèrent 20000 personnes. Il est inhumé sous une vaste chapelle très largement ouverte comme on en voit parfois dans les cimetières de la région et sa statue trône au centre du village.
Peyre Sully-André (1890-1961), poète provençal.
Vidier Paul (+ 1920, à 51 ans), avocat dont la vie fut diverse et qui fut toujours bon même envers les méchants (épitaphe).
Aigues-Vives se révèle aussi riche en épitaphes. Deux plaques évoquent ainsi des destins brisés :
Souvenirs et regrets laissés par la pauvre et regrettée
Albertine CHAZAL
Bien jeune je suis poussée dans le chemin de la mort ;
Dieu ne pardonne pas le lâche et lui saura juger son tort ;
Seigneur écoutez ma prière, et que mes cris parviennent jusqu’à vous ;
Ne détournez pas de moi vos regards, et en quelque instant que je me trouve affligée, prêtez l’oreille à ma voix ;
En quelque moment que je vous invoque, hâtez-vous de m’exaucer ;
Ne me rejettez (sic) pas de votre présence et n’éloignez pas de moi votre esprit-saint ;
J’enseignerai vos voix, votre justice aux méchants, et les impies se convertiront à vous ;
Ô Dieu ! Dieu mon Sauveur ! Délivrez-moi du sang déplacé, et ma langue célébrera votre justice ;
Seigneur vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche publiera bos louanges ;
Mon coeur est agité d’un grand trouble, ma force m’a abandonnée, ainsi que la lumière de mes yeux et celle-ci n’est plus avec moi ;
Mes amis et mes proches sont venus m’attaquer et se sont élevés contre moi ;
Ceux qui étaient à mes côtés se sont tenus à l’écart et ceux qui en voulaient à ma vie ont employé la violence pour me l’ôter ;
Ceux qui cherchaient à me faire du mal ont répandu contre moi des calomnies ; ils méditaient tous les jours de nouveaux artifices ;
Pour moi, j’étais comme sourde à toutes leurs injures, j’étais comme une fille muette qui ne peut ouvrir la bouche ;
Je suis devenus comme celle qui n’entend rien, et qui n’a point de répliques sur sa langue.
Parce que j’ai espéré en vous, vous m’exaucerez ;
Ô Seigneur, mon Dieu, j’ai dit que je ne sois point un sujet de joie pour mes ennemis, car dès qu’ils ont vu mes pieds chanceler, ils ont tenu des discours audacieux contre moi ;
Je suis d’ailleurs préparée à toutes les souffrances et ma douleur est toujours présente à mes yeux ;
Soyez attentif à me porter secours, Seigneur, Dieu de mon salut ;
Ainsi soit-il
Albertine CHAZAL
Le second texte est dédié à un soldat mort en 1915 (Décédé au service de la Patrie), six jours après son vingtième anniversaire :
Celui qui dort ici fut un ange éphémère,
Sur terre, il ne vécut que quelques doux printemps ;
Puis il partit un jour quittant sa pauvre mère,
Pour s’envoler au Ciel à l’âge de vingt ans !…..
Pour nous qui t’adorions la douleur est amère…..
Mais le Ciel qui t’a pris ne laisse pas longtemps
Ses anges comme toi, sur cette triste terre
Où tout n’est que chagrins, que larmes et tourments !
Maurice ! Dors en paix ! Ta mémoire est bénie !
Ton souvenir toujours vivra dans notre coeur
Nous penserons à toi car ton âme chérie
Souvent nous frôlera d’un souffle de douceur !
Tu es mort cher enfant pour la France chérie
Nul n’oubliera ton nom et tous les coeurs pieux
Salueront ce tombeau creusé pour la Patrie
Où tu dors à vingt ans d’un sommeil glorieux !……
Non, nul ne t’oubliera ! Et la France immortelle
Se penchera souvent sur ce tertre béni
Pour donner à l’enfant, à son fils mort pour Elle,
Un souvenir ému, un baiser infini ……..!
Plus loin, un défunt mort en 1982, à 68 ans, proclame :
Et le jour où ma paupière
Connaîtra le vrai repos
Je voudrais que sur ma pierre
L’on grava (sic) ces quelques mots
Il a toujours vécu dans l’indolence
Sans rechercher mais sans craindre la mort
Il prit la vie avec insouciance
Et s’en servit comme d’un passeport.
J’ai enfin croisé, au hasard des allées, une Camélia, une Délila, une Hersilie, une Léoncie, une Lézida, un Zoïle (marié à Isaure).