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Ce n’est pas ici le plus beau cimetière de France. Néanmoins, ses vieilles chapelles, certaines aussi sévères que délabrées, les épitaphes qu’on y découvre et la présence de personnages originaux tels Gabriel-Albert Aurier, Sarah Caryth, Adolphe Combanaire ou Maurice Rollinat font oublier les allées sablonneuses de cet authentique conservatoire de la mémoire berrichonne ouvert en 1819.

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Particularité des cimetières de Châteauroux, il est difficile d’y trouver le calme puisqu’ils sont survolés par les avions de l’aéroport voisin, site majeur du fret aérien ! Cliquer sur la photo pour mieux s’en rendre compte :

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J’y ai distingué les défunts et monuments suivants mais cette présentation ne revendique aucune exhaustivité :

Edmond AUGRAS (1854-1927), industriel et homme politique.
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Pâtissier devenu patron d’une usine de biscuits, il ne cessa de militer à gauche, fut conseiller municipal et directeur du journal Le Progrès de l’Indre. Il créa en 1888 la société folklorique Les Gâs du Berry qu’il présida jusqu’à sa mort survenue dans un accident de bicyclette.

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Gabriel-Albert AURIER (1865-1892), écrivain et critique d’art.
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Vie brève (vingt-sept ans…) mais intense : co-fondateur du Mercure de France, auteur du premier long article favorable à Van Gogh, révélateur des impressionnistes, théoricien du symbolisme en peinture et en littérature, admiré par Remy de Gourmont (ce qui dit tout…) qui le considérait comme le seul vrai critique d’art de son temps avec Fénéon (…l’un est mort, l’autre se tait. Quel dommage !), vaincu par la fièvre typhoïde après un voyage à Marseille.

Joseph BELLIER (1854-1936), homme politique. Maire de Châteauroux, d’abord de 1900 à 1908 puis de 1925 à 1936, il fut aussi durant sa longue carrière député de l’Indre de 1902 à 1910, siégeant avec la gauche radicale. Tombe surmontée d’une colonne brisée.

Henry BERTON (1874-1943), avocat, homme politique et écrivain. On lui doit des ouvrages sur Verlaine et Henri de Régnier. Il fut aussi maire du VIIIè arrondissement de Paris.

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Maurice BRIMBAL (1877-1945), figure de la vie artistique castelroussine au tournant du siècle.
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Il fonda en 1897 le cabaret du « Pierrot noir » inspiré de ses homologues parisiens, ouvrit ensuite la première salle de cinéma de la ville puis fit construire celle de l' »Apollo » avant de finir président de la Chambre de commerce de 1941 à 1945. Il signait ses écrits du nom de Maurice DAURAY.

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Sarah CARYTH (1897-1979), artiste de cirque.
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Creusoise de naissance, élevée dans un milieu bourgeois, elle épousa le dompteur Gino Spiny puis André Rancy et se voua au monde du spectacle. Elle fut dresseuse de serpents, danseuse hindoue (seins nus !) mais surtout une des plus fameuses dompteuses de l’histoire du cirque. Elle quitta la piste pour ouvrir un magasin d’antiquités et ne cessa jamais d’être diseuse de bonne aventure. Jean Villiers, historien du monde du cirque décédé il y a désormais plus de vingt ans et qui était un fidèles de mes balades au Père-Lachaise (il avait été jadis à l’initiative de la restauration de la tombe de Madame Saqui), l’avait connue et m’en parlait avec émotion.
Sa propriété de Saint-Lactencin (au cimetière de la commune se trouve la tombe de son premier mari, mort accidentellement), le « Manoir des fauves » abrite désormais qui lui est consacré.
Elle repose sous le temple majestueux de la famille JOYAUX, son nom de jeune fille.

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Famille CHARLEMAGNE.
Dans cette chapelle reposent quatre députés de la même famille représentant quatre générations successives dont les mandats s’échelonnent de 1789 à 1881 ! :
Jérôme LEGRAND (1746-1817), avocat, député du tiers aux états généraux pour la généralité de Bourges, il proposa aux communes le 16 juin 1789 de constituer les trois ordres en Assemblée nationale.
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Il fut ensuite député de l’Indre puis conseiller à la Cour impériale de Bourges.
Avec lui reposent son gendre, Jean-Claude CHARLEMAGNE (1762-1853) qui fut maire d’Issoudun en 1793-1794 puis député de l’Indre sous la Restauration,
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son petit-fils, Edmond CHARLEMAGNE (1795-1872), magistrat, député de l’Indre sous la Monarchie de juillet puis la Deuxième République, son arrière-petit-fils, Raoul CHARLEMAGNE (1821-1902), maire de Châteauroux de 1860 à 1865, député de l’Indre sous le Second Empire puis au début de la Troisième République.
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Adolphe COMBANAIRE (1859-1939), écrivain, explorateur et aventurier.
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Qui croirait que dans cette tombe banale repose un homme qui, bien que né et mort à Châteauroux, fit plusieurs fois le tour du monde, exploita la gutta-percha (gomme naturelle issue du latex) à Sumatra, le guano de chauve-souris dans le golfe de Siam, le pétrole à Bornéo mais aussi l’or, les huîtres perlières et les nids d’hirondelles ? Engagé volontaire à près de 55 ans, il perdit un bras pendant la Première Guerre mondiale. Les titres de certains de ses livres font déjà voyager : Au pays des coupeurs de têtes, En détresse dans les forêts cambodgiennes, Le Prospecteur d’or.

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Georges DREYFUS alias Lieutenant PAUL (+ 1944), résistant, Franc-tireur partisan mort pour la France le 30 août 1944.
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Avec lui repose son épouse, la femme de lettres Georgette GUEGUEN-DREYFUS (1891-1973).
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François DURIS-DUFRESNE (1769-1837), homme politique. Membre du Corps législatif de 1804 à 1809, il fut ensuite député de l’Indre de 1827 à 1834. Il était le beau-frère du maréchal BERTRAND (1773-1844) qui reposa dans cette même tombe durant trois ans avant son transfert à Paris, aux Invalides.

François GERBAUD (1927-2010), journaliste (ORTF, Europe 1) et homme politique, député (gaulliste) de l’Indre de 1967 à 1973, sénateur (RPR) de l’Indre de 1989 à 2008. Sa fille, Frédérique, est devenue elle-même sénatrice de l’Indre en 2016.

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Narcisse GIRAULT-DUPIN (1836-1898), sculpteur.

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Eugène GRILLON (1800-1868), avocat et homme politique. Maire de Châteauroux de 1834 à 1846 puis à nouveau en 1848, député de l’Indre de 1848 à 1851.

Ernest NIVET (1871-1948), sculpteur.
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Élève de Rodin à Paris, ami de Camille Claudel et de François Pompon, il revint jeune dans sa région natale. Auteur de nombreux monuments aux morts (Châteauroux, Châtillon-sur-Indre, Éguzon, Levroux…), restaurateur de la statue de la Vierge qui trône en l’église Saint-Étienne de Déols, il signa aussi la Berrichonne en prière visible au cimetière saint-Christophe (article à venir) ainsi que le buste du père Thaddée exposé au musée de Châteauroux.
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La pleureuse très expressive (intitulée Les derniers Jours) qui coiffe sa tombe est également son oeuvre.
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non loin du cimetière, une plaque commémorative signale au n° 9 rue de la Fontaine-Saint-Germain la maison-atelier qu’il habita à partir de 1931.
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Joseph PATUREAU-MIRAN (1873-1945), avocat et homme politique, héritier d’une dynastie castelroussine vieille de sept siècles, maire de Châteauroux en 1908 puis député de l’Indre par intermittence (1910-1914, 1919-1924, 1928-1932).
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Dans le même caveau de famille est inhumé son frère, Anselme PATUREAU-MIRAN (1875-1958), avocat et homme politique, député de l’Indre de 1919 à 1924, maire de Saint-Maur de 1929 à 1944.

Olinde PÉTEL (1836-1897), fils d’un médecin castelroussin. Poète et homme de lettres, il fut l’asssitant de son beau-père, Alexandre Dumas dont il avait épousé la fille, Marie, en 1856.

Louis RATOUIS de LIMAY (1863-1951), conservayeur du musée de la ville (son frère Paul fut un célèbre historien d’art).

Maurice ROLLINAT (1846-1903), poète et musicien.
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George Sand encouragea les débuts de ce Berrichon qui devint à Paris une des attractions du cabaret du « Chat noir » au tournant des années 1880. Membre du groupe des Hydropathes, il interprétait seul au piano ses poèmes (mais aussi ceux de Baudelaire), habité d’une fièvre inquiétante et communiquant au public une irréfragable impression de malaise.
Malade, suicidaire, il revint très jeune dans sa région natale pour ne plus la quitter, faisant paraître des recueils qui ne connurent pas le succès de ses Névroses (1883).
De celui que Barbey d’Aurevilly admirait tant, retenons la célèbre Putréfaction dont voici les quatre premières strophes :

Au fond de cette fosse moite
D’un perpétuel suintement,
Que se passe-t-il dans la boîte,
Six mois après l’enterrement ?

Verrait-on encor ses dentelles ?
L’œil a-t-il déserté son creux ?
Les chairs mortes ressemblent-elles
À de grands ulcères chancreux ?

La hanche est-elle violâtre
Avec des fleurs de vert-de-gris,
Couleurs que la Mort idolâtre,
Quand elle peint ses corps pourris ?

Pendant qu’un pied se décompose,
L’autre sèche-t-il, blanc, hideux,
Ou l’horrible métamorphose
S’opère-t-elle pour les deux ?

Il repose auprès de son père, François ROLLINAT (1806-1867), avocat et homme politique, député de l’Indre sous la Deuxième République, ami de George Sand (et qui mourut quelques jours avant Baudelaire).

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Paul RUE (1866-1954), peintre qui représenta souvent la campagne berrichonne.

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Geoffroy TALICHET (+ 1881, à 73 ans), maître d’oeuvre. Avec lui reposent, entre autres Clair Arthur TALICHET (+ 1916, à 66 ans) qui fut conseiller général de l’Indre et conseiller municipal de Châteauroux, et Léon TALICHET (+ 1938, à 80 ans) qui fut conseiller municipal de Châteauroux.

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Guillaume THABAUD de BOIS-LA-REINE (1755-1836), homme politique. Député de l’Indre, il vota la mort de Louis XVI puis fut membre du Conseil des Cinq-Cents, élu au Conseil des Anciens, créé baron d’Empire en 1809, député de l’Indre durant les Cent-Jours. Exilé, car régicide, de 1816 à 1819, il mourut octogénaire à Châteauroux.
Sépulture originale coiffée d’une grille laissant apparaître le nom (orthographié « TABAUD-BOISLAREINE ») et son titre de membre de la Convention.

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Albéric TOLLAIRE-DESGOUTTES (1843-1901), maire de Châteauroux de 1876 à 1880. Il avait été brièvement sous-préfet de Quimperlé en novembre 1870.

Just VEILLAT (1813-1866), peintre, premier conservateur du musée de la ville. Tombe dans un enclos privé.

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Le Souvenir français a érigé, dans le carré militaire, un monument À la mémoire de tous les morts, connus et inconnus, civils et militaires, des deux guerres 14-18 et 39-45.
Chose peu commune, il représente un soldat à genoux et en pleurs.

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Sur la tombe d’un jeune garçon décédé en 1990, cette épitaphe énigmatique : Par la négligence des hommes, tu nous as quittés beaucoup trop tôt.

Plus loin, cette statue témoigne d’une fidélité naïve et touchante :

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Ce long texte, sur une tombe récente :

La maladie

Que c’est triste d’être malade,
Ne pouvoir faire ce que l’on veut…
Que faire contre ce fléau ?
Moi, je ne sais !
La maladie est une chose.
Pourquoi l’être est-il toujours visé ?
Moi, je suis triste quand je vois tout cela.
Ne pouvoir rien faire, rester dans le néant.
Roger, je voudrais tant t’aider,
Pouvoir faire quelque chose,
Mais non, je ne peux pas.
On fait confiance à son médecin,
Et ce dernier fait des erreurs,
De grosses erreurs qui se payent,
Pour ne pas voir que c’est un cancer.
J’espère qu’il ira se faire soigner à Limoges,
Et qu’il restera le plus longtemps avec nous,
Pour pouvoir encore me confier à quelqu’un.
Dans mon travail, il s’en ressentira.
Que faire contre ce fléau ? Rester impuissant !
Et regarder la vie d’une autre façon ?

J’ai aussi déchiffré avec peine ce texte en voie d’effacement :

Vois la cendre du pauvre et ne la foule pas.
Sa tombe est à tes pieds, la tienne est à deux pas.
Mets à profit l’instant que le Ciel t’abandonne.
Le Présent est à toi, l’Avenir à personne.
La douce égalité que nie un fol orgueil
Cesse d’être un problème à l’aspect du cercueil.
Ne crains donc pas la mort et quand sa voix t’appelle
Elle te donne accès à la vie éternelle.

Avant de quitter les lieux, notons qu’un certain Camille Desmoulins les honore de sa présence (mais celui-ci vécut jusqu’en 1922) et que Pablo Neruda est cité sous forme d’épitaphe : C’était si beau de vivre quand tu vivais.

Notre dernière pensée s’adressera aux infortunés dont les tombes furent reprises et qui croupissent désormais à l’ossuaire.

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Adresse :
Square du Souvenir-Français.