Un bel exemple de préservation du patrimoine historique et funéraire : la commune de Cézy (Yonne) avait restauré, il y a quelques années (ce serait malheureusement déjà à refaire tant la pierre est désormais noircie), le tombeau de Félix ARVERS (1806-1850), poète, dont l’épitaphe rappelle qu’il écrivit un inoubliable sonnet débutant par Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Destin singulier que celui de ce littérateur d’origine bourguignonne (son père était négociant en vins à Cézy), né à Paris (une plaque avec son portrait le rappelle, rue Budé, dans l’Île Saint-Louis) qui appartint à la mythique « Génération de 1830 », fréquenta le Cercle de l’Arsenal, fut l’intime de Musset, connut le succès au théâtre avec des oeuvres aujourd’hui dans l’oubli, mourut encore jeune mais pauvre autant que malade et ne dut sa survie posthume qu’à un seul sonnet, tiré du recueil Mes Heures perdues, souvent rebaptisé « Le Sonnet d’Arvers ».
Lu, relu, tant de fois appris par coeur et récité, mis en musique par Serge Gainsbourg, ce morceau de bravoure contant une passion impossible à avouer aurait été inspiré à l’auteur par Marie Nodier (la fille du fameux Charles Nodier, le bibliothécaire de l’Arsenal qui propulsa le romantisme au faîte des lettres) pour qui il se consumait d’amour (comme Charles Nodier lui-même, d’ailleurs, que sa fille ne laissait pas insensible…) qui, elle, repose à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine).

Arvers est aussi resté pour son curieux mot de la fin : alors qu’il agonisait, une religieuse désignant à quelqu’un le couloir de l’hospice déforma le mot juste et parla du « collidor ». Insupportable barbarisme aux oreilles du poète qui sortit de sa léthargie pour rectifier « On ne dit pas « collidor » mais « corridor » ! » puis, satisfait, rendit le dernier soupir. 


Sur sa pierre, ces lignes plaintives tirées des Heures perdues :
Que l’on m’ignore et que le terre ne sache de moi que mes chants.
(On eut le tact de ne pas graver ce distique impitoyable :
Un monument au pauvre Arvers !
Qu’a-t-il donc fait ? – Quatorze vers.
)
Rappelons ici ce credo de l’amoureux transi :
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et cele qui l’a fait n’en a jamais rien su.
Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;
À l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.