Parce qu’il était situé entre la capitale et la garnison de Metz où il était affecté et parce qu’on y proposait en viager l’acquisition d’une gentilhommière où sa famille, et surtout sa plus jeune fille Anne, née trisomique, pourrait profiter du grand air et du calme, le lieutenant-colonel Charles de Gaulle se fixa en 1934 dans le village de Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne) où il n’avait aucune attache.
La propriété de « La Brasserie », vite rebaptisée « La Boisserie », devint son refuge à l’écart du tumulte. De sa « traversée du désert » à ses derniers instants en passant par ses années de président de la République, elle fut la maison de sa vie. L’accomplissement de son destin fit ainsi entrer la demeure et la commune dans l’Histoire.
Aujourd’hui, les pèlerins et les curieux sont encore très nombreux à visiter la propriété, du moins les trois pièces du rez-de-chaussée ouvertes au public, dont la bibliothèque où il mourut. Ils se rendent ensuite au coeur du bourg, où les quelques boutiques et restaurants sont pavoisés et offrent au chaland la panoplie de souvenirs qu’il escompte, jusqu’au cimetière, situé autour de l’église (une croix de Lorraine y indique le banc où il prenait place chaque dimanche), sur la tombe du Général.
Rappelons ici le célèbre testament rédigé en 1952 (année de la mort brutale du maréchal de Lattre de Tassigny, enterré dans son village vendéen de Mouilleron-en-Pareds; cet événement aurait poussé le général de Gaulle à écrire ses dernières volontés) :
Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey-les-Deux-Eglises. Si je meurs ailleurs, il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique.
Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où, un jour reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-….). Rien d’autre.
La cérémonie sera réglée par mon fils, ma fille, mon gendre, ma belle-fille, aidés par mon cabinet, de telle sorte qu’elle soit extrêmement simple. Je ne veux pas d’obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d’assemblées, ni corps constitués. Seules, les Armées françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimension très modeste, sans musiques, ni fanfares, ni sonneries.
Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’Église ni ailleurs. Pas d’oraison funèbre au Parlement. Aucun emplacement réservé pendant la cérémonie, sinon à ma famille, à mes Compagnons membres de l’ordre de la Libération, au Conseil municipal de Colombey. Les hommes et femmes de France et d’autres pays du monde pourront, s’ils le désirent, faire à ma mémoire l’honneur d’accompagner mon corps jusque sa dernière demeure. Mais c’est dans le silence que je souhaite qu’il y soit conduit. Je déclare refuser d’avance toute distinction, promotion, dignité, citation, décoration, qu’elle soit française ou étrangère. Si l’une quelconque m’était décernée, ce serait en violation de mes dernières volontés.
La pierre blanche, choisie par les parents en hommage à leur fille, surmontée d’une croix qui dépasse le muret de l’enclos, est d’une sobriété absolue. Aucune plaque n’y est déposée, l’usage étant de les placer le long du mur, où elles s’alignent par dizaines, ou bien autour de la croix centrale.
L’épitaphe respecte ce qu’il avait souhaité : Charles de Gaulle (1890-1970). Avec lui, sa fille, Anne de Gaulle (1928-1948) et son épouse, Yvonne de Gaulle (1900-1979), née Vendroux, que les Français avaient rebaptisée « Tante Yvonne ».
En retrait, une guérite est installée aux fins de surveiller la sépulture. J’y avais toujours vu un ou plusieurs gendarmes. Elle était vide lors de mon dernier passage.
Auprès de lui, dans une tombe distincte, son gendre, le général Alain de Boissieu Dean de Luigné (1914-2006), compagnon de la Libération, qui, en juin 1940, commanda sabre au clair la dernière charge de l’histoire de la cavalerie française, échappa à la mort lors de l’attentat dit du Petit-Clamart contre son beau-père (on dit qu’il lui sauva la vie en lui ordonnant de se coucher dans la voiture) et démissiona en mai 1981 de ses fonctions de grand maître de l’Ordre de la Légion d’honneur afin de ne pas avoir à remettre le collier de l’Ordre au nouveau président, François Mitterrand, et sa fille, Elisabeth de Boissieu Dean de Luigné, (1924-2013), née de Gaulle.
Face à la tombe, la sépulture où reposera un jour son fils, l’amiral Philippe de Gaulle, né en 1921, et où est inhumée sa belle-file, Henriette de Gaulle, (1929-2014) née de Montalembert de Cers.
On remarque aussi, tout près, la tombe de l’abbé Claude Jaugey (1918-1979), ancien curé de Colombey-les-Deux-Églises. C’est lui qui fut appelé à La Boisserie, dans la soirée du 9 novembre 1970, lorsque le général de Gaulle fut frappé d’une rupture d’anévrisme, et administra les derniers sacrements.
Un peu plus loin, l’homme politique Henri Duvillard (1910-2001), qui fut ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre de 1967 à 1972, mais aussi député du Loiret, a demandé à reposer auprès de celui qu’il admirait. Il présida le Comité national du Mémorial de Colombey.
Deux sépultures, de l’autre côté du cimetière, sont celles de la famille Merger, nom du menuisier qui confectionna le cercueil, en chêne et sans fioritures, que portèrent, lors des obsèques, des jeunes gens du village, dont son fils.
Voir aussi la stèle d’Albert Chapel (1929-2012), photographe et éditeur, ornée de son appareil. Et accorder une pensée au maréchal des logis chef Georges Metzger, mort pour la France le 15 juin 1940, soit trois jours avant l’Appel.
Du cimetière, enfin, s’aperçoit la célèbre croix de Lorraine en granit de la Clarté, érigée en 1972. Désormais, le Mémorial Charles-de-Gaulle, qui en commande l’accès, propose au visiteur un parcours historique et constitue l’autre étape du triptyque gaullien avec La Boisserie et le cimetière.
À quelques kilomètres (au sud) de Colombey, le minuscule village de Villars-en-Azois abrite la tombe d’un artiste dont la seule proximité avec le général De Gaulle est géographique : le musicien Jacno.