Sur la route, des panneaux annoncent qu’on est ici dans le village de l’abbé PIERRE (1912-2007); si le « lieu de vie » d’Emmaüs est à droite, le cimetière, lui, est à gauche.
Petit, minuscule même, cet enclos communal fut propulsé à la une de l’actualité en janvier 2007. Durant les années qui suivirent le décès de l’abbé, l’affluence fut considérable; lors de mon dernier passage (septembre 2016), je suis resté trente minutes dans le cimetière sans croiser personne…
Rappelons, mais qui ne le sait pas ?, que, né sous le nom d’Henry Grouès dans une famille lyonnaise bourgeoise, il avait choisi d’entrer chez les capucins avant d’être ordonné prêtre et, après une guerre active dans la Résistance, de fonder l’association laïque de lutte contre l’exclusion, Emmaüs. Élu député (d’abord indépendant puis MRP) de 1945 à 1951, il avait lancé à la radio un appel vibrant le 1er février 1954 afin que soient secourues les victimes de ce terrible « hiver 54 ». Sachant utiliser les médias (il alla gagner quelques subsides au jeu « Quitte ou double »), il ne cessa jamais de combattre la misère et devint une des figures les plus populaires du pays.
Ayant résidé plus de vingt ans à Esteville (en 1964, un entrepreneur rouennais avait fait don à la communauté d’un manoir à l’abandon qui fut entièrement restauré) où furent inhumés les premiers Compagnons, il avait toujours émis le désir de partager leur tombe.
Contre le mur de l’église, l’allée mène au fond et à gauche du cimetière, à la vaste et sobre sépulture commune, orné d’un seul grand Christ couché.
Auprès de lui est inhumée la fidèle Lucie COUTAZ (1899-1982), rencontrée dans la Résistance et qui devint sa secrétaire particulière.
Extrait de l’hommage que l’abbé Pierre lui rendit :
Sans elle, Emmaüs n’existerait pas. C’est ce qu’affirment tous les compagnons et amis des origines. Et ils disent vrai. En toute vérité, celle qui pour tous fut toujours nommée, avec un exceptionnel respect, « Mademoiselle Coutaz », fut co-fondatrice du mouvement né en 1949.
Ce que moi, je dois ajouter c’est que, pour quiconque a connu son tempérament, et ses dons de chef (qui lui valurent, soit dit en passant, la Croix de guerre avec citation, pour son courage dans le soutien secret à l’Armée du Vercors), il est évident qu’il lui fallut un véritable héroïsme quotidien pour, pendant 39 années, et jusqu’aux labeurs de ses dernières journées de vie, n’être toujours agissante que dans l’ombre d’un autre.
Voici les noms des « Chiffonniers » également enterrés ici (entre leurs années de naissance et de décès figure celle de leur entrée dans la communauté) :
Pierre DROUAULT (1894-1952-1972)
René COMBON (1899-1961-1978)
Marcel SABOUKO (1926-1968-1978)
Émilienne PUECH (1906-1954-1969)
Robert D’HOTEL (1923-1977-1982)
Lucie GOUET (1901-1955-1966)
Daniel GIGAN (1924-1952-1981)
André PAVIN (1919-1968-1979)
Charles GILARDEAU (1909-1954-1975)
Roger BIGLE (1904-1954-1974)
André MORGAN (1921-1964-1971)
Henri MARIE (1899-1969-1971)
Charles CAILLEAU (1919-1954-1970)
Louis MERINDOL (1906-1973-1979)
Georges LEGAY (1903-1949-1966), le tout premier Compagnon que l’abbé Pierre avait dissuadé de se suicider.
Pour seule épitaphe, celui que les Français ont désigné, en 2005, 3è plus grand Français de tous les temps s’était choisi : Il a essayé d’aimer.
Auprès de cette première tombe commune, s’en trouve une seconde où reposent (liste établie, encore une fois, en septembre 2016) :
Jacqueline HAMMEURY (1933-1976-2000)
Hélène CARPENTIER (1921-2000)
Jules Joffrin CARPENTIER (1918-1949-2002), dont on relèvera le prénom.
Gérard POIRIER (1945-1999-2003)
Catherine DALET (1956-2007-2010)
Michel CHARMEL (1946-2014)
Thierry GIRARD (1947-1997-2015)
Précisions que la commune d’Esteville compte un autre champ de repos, celui de Touffreville, où sont inhumés vingt-cinq autres Compagnons.
Par ailleurs, ce cimetière de campagne recèle une belle croix
ainsi qu’une vieille chapelle en brique qui joue à imiter les grandes maisons des vivants…
Il ne pouvait se douter qu’un si célèbre prêtre viendrait un jour goûter le même calme que lui : contre l’église, une plaque rend hommage au père Jacques BERTIN (+ 1862) qui desservit cette paroisse pendant vingt-huit ans.
Enfin, j’ai relevé l’épitaphe de son homonyme, Pierre Jacques BERTIN (+ 1867, à 85 ans) : Son désir fut de reposer auprès de celle qui l’a délaissé trop tôt.