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Très bel endroit que ce petit cimetière de Samoreau qui s’étire le long du lac aménagé au bord de la Seine. L’ensemble permet de conjuguer sortie bucolique et promenade culturelle.

Trois personnalités du monde artistique reposent à quelques mètres de distance composant un exceptionnel triptyque.

Le phare du lieu est, nul ne le contestera, le poète Stéphane Mallarmé (1842-1898). L’auteur de L’Après-midi d’un faune, d’Album de vers et de prose et du posthume Un coup de dés jamais n’abolira le hasard mourut dans sa maison de campagne de Valvins (aujourd’hui il s’agit d’un quartier de Vulaines-sur-Seine, commune limitrophe de Samoreau) désormais ouverte au public et transformée en musée.
À ceux qui le taxeraient d’hermétisme, conseillons de méditer ce jugement de Charles Dantzig (Dictionnaire égoïste de la littérature française, Grasset, 2005) : Mallarmé est une tentative d’éloignement de la littérature de la foule, cette foule alors si menaçante et dont il emploie toujours le nom avec dégoût. Il n’est pas obscur, il est loin. Sa difficulté est une légende. C’est simplement un écrivain qui doit se lire en trois fois. La première, on ne « comprend » pas. La deuxième, la buée se rétracte, on aperçoit des contours d’images. La troisième, lumière. Le mallarméisme consiste à éloigner au maximum le fait à décrire au moyen du vocabulaire et, plus encore, de la syntaxe.
Il repose auprès de son fils, Anatole (1871-1879), mort de maladie à l’âge de huit ans (ce fut là le grand chagrin de sa vie), de son épouse, Marie (1835-1910) et de leur fille, Geneviève (1864-1919). Leur tombe est surmontée d’une colonne supportant une urne.

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Auprès de Mallarmé (les deux tombes sont réellement contiguës) dort un des plus fulgurants poètes du XXè siècle, Olivier Larronde (1927-1965). Auteur des Barricades mystérieuses, de Rien voilà l’ordre (anagramme de son nom) et de L’Arbre à lettres, il mariait, selon l’expression de Paul Guth la grâce d’un Ronsard à l’acuité nerveuse héritée du surréalisme. Né à La Ciotat, fils d’un journaliste, filleul du poète O. W. Milosz, il avait quitté l’école à seize ans (Je ne peux ni ne veux accepter la moindre transaction avec mes convictions, mes sensations, la moindre transaction avec moi-même.) avant de venir de Saint-Leu-la-Forêt, où il avait grandi, à Paris à pied pour faire éditer son premier recueil par Jean Cocteau. Salué par Gaston Bachelard, Jean Genet, André Pieyre de Mandiargues, Louise de Vilmorin, illustré par Giacometti, il mourut à trente-huit ans malade (épileptique), alcoolique et drogué. On l’enterra, à sa demande, près de Mallarmé qu’il admirait.
Je dois beaucoup à la merveilleuse Diane Deriaz, qui était son amie d’enfance et m’accompagna souvent dans mes visites de cimetières. Elle me parlait de lui mieux que je ne saurais dire ici.
Il repose désormais, sous un petit obélisque, avec son compagnon, Jean-Pierre Lacloche (1925-2006) qui entretint son souvenir durant quarante ans.

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Misia Sert (1872-1950) qui fut tout à la fois pianiste, reine de Paris et muse de nombreux artistes. Née Misia Godebska, elle était la fille du sculpteur polonais Godebski (auteur, entre autres du monument funéraire de Théophile Gautier et du médaillon d’Hector Berlioz au cimetière Montmartre). D’abord mariée à Thadée Natanson, co-fondateur de la Revue blanche puis au terrible magnat Alfred Edwards, enfin au peintre espagnol José Maria Sert, elle fascina aussi bien les poètes (Verlaine et Mallarmé lui dédièrent des vers) que les peintres (Toulouse-Lautrec, Renoir mais aussi Bonnard et Marie Laurencin firent son portrait), aurait inspiré à Proust, ce qui est beaucoup moins à son honneur, certains traits de madame Verdurin. Elle acheva son existence quelque peu oubliée, malade, droguée et quasiment aveugle.
Coco Chanel fit sa toilette mortuaire, la parant de blanc et d’une écharpe rose pour son ultime voyage.

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Un vieux puits, à l’eau non potable, un prénom rare : Celi et une épitaphe (Nos coeurs sont séparés, nos esprits restent en contact) ont conclu mon dernier passage à Samoreau.