Évidemment, à Menton, le lieu de repos incontournable est le cimetière du Château, un des plus beaux d’Europe. En le quittant, on peut aussi découvrir l’immense nécropole du Trabuquet. Je vous entretiendrai de ces lieux dans de futurs articles.
Beaucoup moins fréquenté parce que récent, éloigné de la ville et dépourvu de tombes de célébrités, le Parc du Souvenir est une vaste enclave, dans un cadre sauvage, à l’entretien parfait.
Demeure le plus méconnu des quatre cimetières mentonnais, celui du Vieux-Monti.

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Tout proche du Parc du Souvenir (il faut découvrir les deux sites en même temps), il ne contient que quelques tombes, celles des habitants du hameau de Monti, village au-dessus de la ville, comme La Treille est à l’écart de Marseille et Gairaut en retrait de Nice.
Ne rien attendre de transcendant, le lieu est établi en contrebas de Monti, sur plusieurs niveaux et abrite pour l’essentiel des tombeaux modernes et dépourvus d’intérêt.

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Tout juste signalera-t-on la stèle d’Auguste GUARNIERI (aucune date mentionnée), chevalier de l’art lyrique ainsi, sur une autre tombe, que cette épitaphe :
La Mort fauche sans limite, sans pitié
Tel le laboureur faucharde le blé.

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Pourquoi donc venir jusqu’ici ?
Parce que repose, à l’écart, en dehors même du cimetière, une des grandes figures politiques de la IIIè République, André TARDIEU (1876-1945).

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Ce grand bourgeois parisien, étudiant brillant (lauréat du concours général, reçu major à l’École normale où il refusa d’entrer), souvent perçu comme un dandy, séducteur (à l’apogée de sa carrière, la comédienne Mary Marquet était sa maîtresse et leur liaison quasi-officielle) et arrogant (Léon Daudet l’appelait le « Mirobolant ») devenu collaborateur de Clemenceau et négociateur du traité de Versailles, plusieurs fois ministre (Travaux publics, Intérieur) dans les années 20, fut trois fois président du Conseil entre 1929 et 1932.

Personnage inclassable, farouchement anticommuniste, fasciné par les États-Unis et la société de consommation naissante, attaché à la méritocratie, il appliqua une politique de développement et de modernisation de la France qui finit par gréver les finances du pays.
Henry de Jouvenel (le deuxième mari de Colette) le qualifiait ainsi : Esprit éblouissant, oh ! pour ça : éblouissant jusqu’à la fascination… mais qui évolue sans contact profond avec l’essence des êtres et des choses, de la vie et des hommes. Jugement confirmé par le diplomate André François-Poncet qui constatait avec lucidité : il marquait sa différence par une élégance recherchée et hautaine qui, du gilet de soie jusqu’au monocle ou au fameux fume-cigarette, affichait une assurance ostentatoire, provocante (…) Chaleureux dans ses relations privées, l’homme public n’avait ni la bonhomie ni la faconde qui rendaient populaire.

Battu aux élections de 1932 (en dépit d’une campagne moderne où il avait été le premier politique à s’adresser directement aux électeurs par le biais de la radio) mais rappelé après le 6 février 1934 (comme ministre d’État mais sans portefeuille), il quitta la politique avec amertume lors de l’avènement du Front populaire et ne put achever les cinq volumes de sa Révolution à refaire (seuls les deux premiers parurent) en raison d’une attaque cérébrale.
Retiré à Menton (on l’avait surnommé « l’ermite de Menton »), celui que Jacques Chastenet avait qualifié de « scintillant météore » mourut paralysé et aveugle. Le Dictionnaire des ministres (1789-1989) (sous la direction de Benoît Yvert, Perrin, 1990) conclut ainsi l’article qui lui est consacré : Ce dandy sûr de lui, extrêmement cultivé, respirant la joie de vivre, mais trop en avance sur son temps, resta incapable de faire partager ses vues et de donner corps à ses innombrables projets.

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La situation originale de sa tombe (bien fleurie), isolée, au bord même de la route, est à son image.

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