Pouvait-il reposer ailleurs ?

Né à Collonges-au-Mont-d’Or (Rhône) le 11 février 1926, mort à Collonges-au-Mont-d’Or (en son auberge !) le 20 janvier 2018, Paul BOCUSE trône en majesté au cimetière de la commune.

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Le « cuisinier du siècle », issu de lignées de restaurateurs, formé chez la Mère Brazier (inhumée dans l’Ain, à Miribel, et dont Curnonsky, le « Prince des gastronomes », mort en 1956 et enterré à Beauchamp, en Val-d’Oise, avait repéré les talents), élève (comme les frères Troisgros) du grand Fernand Point (dont la tombe est visible au bas du très escarpé cimetière de Pipet, à Vienne, en Isère), sacré « Meilleur ouvrier de France » en 1961, avait repris l’auberge familiale dirigée par son père (qui l’avait lui-même héritée de son propre père) et connu une ascension fulgurante.

Première étoile Michelin en 1958, deuxième en 1962, avant la consécration et l’entrée en 1965 dans le club très fermé des « Trois étoiles » qu’il ne devait plus quitter. Devenu une icône, célébré en France comme à l’étranger, multipliant livres de recettes, apparitions médiatiques, publicités, ouvertures de brasseries (une demi-douzaine rien qu’à Lyon, d’autres en Floride ou au Japon), titres et décorations, il domina durant plus de cinquante ans la scène culinaire et gastronomique mondiale.

 

 

Omniprésence, autorité et sens de la réclame qui lui valurent, entre autres coups de griffes, de ne bénéficier dans le Petit Dictionnaire amoureux de la gastronomie de Christian Millau (Pocket, 2013) de ne faire l’objet que de cette courte notice :

Bocuse (Paul)

Nul mieux que lui ne sait parler de lui-même. Je préfère donc m’effacer. De toute façon, il a dit l’essentiel en inscrivant sur l’un de ses menus cette phrase, coulée dans l’airain, qui clôt en toute humilité le débat : « GRÂCE À SON GÉNIE CULINAIRE, PAUL BOCUSE ASSURE LA RENOMMÉE MONDIALE DE LA CUISINE FRANCAISE. »
Que pourrait-on ajouter, je vous le demande ?

Décédé nonagénaire, Commandeur de la Légion d’honneur (il avait aussi reçu la Croix de guerre pour s’être engagé à 18 ans dans l’Armée française de la Libération du général de Gaulle et avoir été grièvement blessé), statufié au musée Grévin, ayant donné son nom de son vivant au pont de Collonges enjambant la Saône, le pape des fourneaux repose auprès de ses parents, Georges (1901-1959) et Irma (1905-1982). Un an après sa mort, son épouse, Raymonde (1926-2019), les a rejoints dans le caveau familial.

Hors normes jusque dans sa vie privée, Paul Bocuse ne dissimulait pas sa polygamie, partageant son temps entre trois femmes. Il confiait ainsi à Libération en 2006 : J’ai trois étoiles. J’ai eu trois pontages. Et j’ai toujours trois femmes. Il ajoutait : Si je calcule le nombre d’années où j’ai été fidèle aux trois femmes qui ont compté dans ma vie, j’arrive à 135 ans de vie commune. Et résumait dans le Parisien en 2007 son emploi du temps conjugal : Il y en a une pour le déjeuner, une pour le thé et une pour le dîner.

Sur la tombe, trois (évidemment…) plaques, hommages des Maîtres Cuisiniers de France, de la commune à son « enfant du pays », et de l’Amicale des Cuisiniers et Pâtissiers français au Japon (cette dernière ornée de la silhouette du mont Fuji).

Surtout, dévorant la haute stèle flanquée de deux urnes drapées et empêchant la gravure d’un éventuel nom supplémentaire, un immense portrait photographique du chef coiffé de sa toque, vêtu de sa veste de Meilleur Ouvrier de France (à sa demande, il fut inhumé avec) et dépourvu du moindre sourire.
Et dominant l’ensemble, non pas une croix mais un « Bocuse d’Or », trophée qu’il avait créé en 1987 pour récompenser les meilleurs cuisiniers du monde et le représentant dans sa pose favorite, toqué, bras croisés, savourant sa réussite avec une satisfaction non dissimulée.