Une déflagration.
En 1930, le succès, non, le triomphe, de Parlez-moi d’amour ne ressembla pas à ce que connaissait jusqu’alors la chanson française.

Grâce au disque et surtout à la TSF, une jeune interprète accéda à la célébrité presque du jour au lendemain.

Elle avait pour nom Lucienne Boyer et était née le 18 août 1901, il y a tout juste 120 ans.

Après avoir débuté dès l’adolescence dans les revues de Rip (enterré au cimetière de Montrouge), été modiste, modèle du peintre Foujita (qui repose à Reims en la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix qu’il avait décorée), chanteuse dans les cabarets parisiens puis à Broadway, elle avait découvert ce titre qui semblait n’attendre que son interprète.

Paroles et musique étaient signées Jean Lenoir (1891-1976) dont l’autre morceau de bravoure fut en 1946 « Voulez-vous danser grand-mère » offert à Lina Margy (inhumée, elle aussi, à Montrouge), quoi que je confesse une tendresse particulière pour une autre de ses oeuvres, datée de 1920, popularisée par Gaby Montbreuse (dont la tombe se trouve à Tours, au cimetière de La Salle) et intitulée « Tu m’as possédée par surprise »…
D’abord sceptique (il fallut modifier la tonalité initiale pour l’adapter au timbre de Lucienne Boyer), il reconnut que la voix légèrement voilée et la diction voluptueuse de la jeune femme convenaient parfaitement à cette romance sentimentale oubliée depuis des années dans ses tiroirs.
Le jury du Grand prix du disque 1931 (premier du nom), lui aussi conquis (relevons-y les noms de Maurice Ravel, Colette ou Louis Lumière), préféra Lucienne Boyer à Joséphine Baker.

Est-ce parce qu’il avait trop entendu Parlez-moi d’amour dans son enfance que Georges Brassens (né en 1921) s’autorisa dans Sauf le respect que je vous dois (1972) l’antienne

Parlez-moi d’amour
Et j’vous fous mon poing sur la gueule
Sauf le respect que je vous dois
?

Soyons juste, la chanteuse ne se remit jamais de cette déferlante (impossible de dénombrer aujourd’hui les traductions et les reprises de Parlez-moi d’amour mais citons celles de Carlos Gardel, Mireille Mathieu, Charlélie Couture ou Linda Ronstadt pour en dire l’éclectisme) qui vampirisa le restant de son répertoire. Même si elle interpréta aussi Les Prénoms effacés ou Mon coeur est un violon, elle demeura à jamais, sur les scènes de l’Alhambra, de l’Empire, de l’Étoile ou de l’Européen, mais aussi dans ses propres cabarets (« Chez elle » ou « Chez Lucienne »), la messagère de ces mots si troublants et intimes :

Parlez-moi d’amour,
Redites-moi des choses tendres,
Votre beau discours
Mon coeur n’est pas las de l’entendre,
Pourvu que toujours
Vous répétiez ces mots suprêmes,
Je vous aime…

Mariée (avant Édith Piaf) à Jacques Pills (inhumé au cimetière de Mont-de-Marsan), père de sa fille Jacqueline (qui remporta le concours Eurovision 1960 avec Tom Pillibi), elle interpréta durant plus d’un demi-siècle (elle fêta en 1976 ses cinquante années de chansons à l’Olympia), toujours vêtue de sa fameuse robe bleue, et jusque sur le plateau télévisé de Pascal Sevran ces couplets moins naïfs qu’il n’y paraît :

Vous savez bien
Que dans le fond
Je n’en crois rien
Mais cependant,
Je veux encore
Écouter ces mots que j’adore…

 

 

 

Morte en décembre 1983, Lucienne Boyer fut conduite au cimetière parisien de Bagneux où sa pierre tombale se repère assez facilement dans la 21è division.
Le titre de sa chanson fétiche y est gravé sous son nom.

 

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