Je lève ce soir mon verre de vin de Reuilly, rosé car c’était son préféré et je partage ce goût, à la mémoire d’un personnage extraordinaire dont j’avais retrouvé la sépulture dans les années 80 et que j’avais évoqué dans un livre de 1994, à une époque où il n’avait pas encore été redécouvert : Marius Jacob.

Né à Marseille en 1879, engagé comme mousse à douze ans, il accomplit le tour du monde, devient pirate à treize, côtoie les bas-fonds et rentre au bercail à dix-huit, enrichi de mille expériences autant que sans illusion sur son époque et ceux qui la peuplent (J’ai vu le monde; il n’est pas beau.). Il devient alors un ouvrier typographe anarchiste que la violence révulse et qui lui préfère ce qu’il nomme un illégalisme pacifiste. Son objectif : voler aux bourgeois et aux institutions, détrousser les châteaux et les églises, pour redistribuer aux plus pauvres. Point d’honneur : ne jamais s’en prendre aux métiers considérés comme utiles au premier rang desquels il place les médecins… et les écrivains ! Sa marque : abandonner à ses victimes des petits billets manuscrits toujours pleins d’humour. Lorsqu’il réalise qu’il est en train de cambrioler la villa de Pierre Loti, il lui laisse cette note : Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. Attila. P. S. : Ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé.

Arrêté, on le condamne à vingt ans de réclusion au bagne de Cayenne mais il obtient de revenir en métropole et, libéré, choisit de s’installer dans l’Indre, à Reuilly, pays où il ne se passe rien, où il devient marchand forain et rédige ses souvenirs : Tout jeune, le virus de la justice m’a été inoculé et cela m’a valu bien des désagréments.

Le 28 août 1954, en pleine possession de ses facultés intellectuelles, il invite les enfants du pays à goûter chez lui puis, une fois seul, se tue d’une injection de morphine afin d’échapper à la déchéance physique et aux ravages de la vieillesse. On retrouve près de lui le cadavre de son vieux chien à qui il a réservé le même sort. Sa dernière page, laissée en évidence, prouve combien l’humour et l’insoumission ne l’auront jamais abandonné : Vous être trop jeunes pour apprécier le plaisir qu’il y a de partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les infirmités qui guettent la vieillesse (…) Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J’ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé.

Au cimetière de Reuilly, sa tombe, modeste, est désormais indiquée et même si Maurice Leblanc ne l’a jamais dit ouvertement, on ne peut s’empêcher de voir en Marius Jacob le modèle du plus fameux gentleman-cambrioleur : Arsène Lupin.

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