Le 30 juin 1862, il y a cent cinquante ans aujourd’hui, s’achevait la parution des Misérables. Le public découvrait le fameux chapitre VI du livre IX de la cinquième partie où est décrite la tombe de Jean Valjean. On sait ce que Hugo avait dit de la conclusion de son roman : Si cette fin n’émeut pas, je renonce à écrire jamais.
Oublions donc les jugements sévères de Jules Barbey d’Aurevilly (enterré d’abord à Montparnasse puis transféré dans un miraculeux petit cimetière niché dans les douves du château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, dans la Manche), les accusations de plagiat concernant plusieurs chapitres que Victor Hugo aurait empruntés à un nommé Rey Dusseuil, pour donner à cette dernière page, située au Père-Lachaise, la place qu’elle mérite.
L’herbe cache et la pluie efface.
Il y a, au cimetière du Père-Lachaise, aux environs de la fosse commune, loin du quartier élégant de cette ville des sépulcres, loin de tous ces tombeaux de fantaisie qui étalent en présence de l’éternité les hideuses modes de la mort, dans un angle désert, le long d’un vieux mur, sous un grand if auquel grimpent, parmi les chiendents et les mousses, les liserons, une pierre. Cette pierre n’est pas plus exempte que les autres des lèpres du temps, de la moisissure, du lichen, et des fientes d’oiseaux. L’eau la verdit, l’air la noircit. Elle n’est voisine d’aucun sentier, et l’on n’aime pas aller de ce côté-là, parce que l’herbe est haute et qu’on a tout de suite les pieds mouillés. Quand il y a un peu de soleil, les lézards y viennent. Il y a, tout autour, un frémissement de folles avoines. Au printemps, les fauvettes chantent dans l’arbre.
Cette pierre est toute nue. On n’a songé en la taillant qu’au nécessaire de la tombe, et l’on n’a pris d’autre soin que de faire cette pierre assez longue et assez étroite pour couvrir un homme.
On n’y lit aucun nom.
Seulement, voilà de cela bien des années déjà, une main y a écrit au crayon ces quatre vers qui sont devenus peu à peu illisibles sous la pluie et la poussière, et qui probablement sont aujourd’hui effacés :
Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,
Il vivait. Il mourut quand il n’eut plus son ange;
La chose simplement d’elle-même arriva,
Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va.