J’aurais pu choisir, oh Dieu, bien des noms de grands hommes… Qu’ils soient nés le 4 septembre comme Chateaubriand, Darius Milhaud et Antonin Artaud ou qu’ils aient rendu l’âme en passant devant lui tels Robert Schuman, Marcel Achard ou la jeune Léopoldine, fille de Victor Hugo, emportée à Villequier par le mascaret. Ce sera pour d’autres années si la pérennité de ce site m’en fournit le prétexte.
Je préfère me pencher sur un déshérité, un paria du cadastre dont le patronyme ainsi que les dates de naissance et de décès me sont inconnus. Tout juste ai-je deviné qu’il se prénommait Alfred. C’est au coeur de l’effrayante nécropole madrilène de l’Almudena, le cimetière que sa légende pare de cinq millions de morts !, que se trouve son ancienne dalle funéraire, relevée et utilisée en réemploi pour couronner un muret ! Qui était ce francophone exilé au-delà des Pyrénées dont nul (l’Almudena n’appartient pas à ce cercle fermé de cimetières où fréquentent les touristes) ne semble plus se soucier et dont la patrie n’eut pas les os ? Sans doute ne le saurons-nous jamais et cela ne doit pas nous contrister. Réjouissons-nous au contraire que certaines questions demeurent sans réponse.Toutefois, je ne songe pas sans frémir que saison après saison, au Père-Lachaise, les dates d’Alfred de Musset s’effacent car la pierre de son sépulcre est calcaire et que cela n’émeut guère. Seuls les lettrés qui le visitent ont encore en mémoire qu’il vit le jour en 1810 et ferma les yeux en 1857. Souhaitons-lui un meilleur sort que son homonyme de Castille et n’oublions jamais que les malheurs d’Alfred peuvent aussi être posthumes.