Gérard Courant est un homme encore plein de vie, qui ne manque pas d’idées et qui a inventé, en 1978, le Cinématon, version animée du photomaton, consacrée aux personnalités du monde des arts, de la culture, de la politique ou du spectacle. Principe on ne peut plus simple : un plan fixe en gros plan de 200 secondes durant lequel le personnage filmé peut faire ce qu’il veut. Détail capital : l’ensemble est totalement muet.
La collection compte, à ce jour, environ 2600 titres et forme le film le plus long du monde (175 heures) réalisé par un homme seul. Des projections intégrales sont parfois organisées (il paraît qu’à Montréal, une étudiante en cinéma est parvenue à regarder des Cinématons pendant toute une semaine !). Gérard Courant propose une posologie plus douce à ceux qui souhaitent découvrir son oeuvre par le biais d’internet.
Merveilleuse occasion de voir ou revoir des figures disparues. Il y aurait là un émouvant thème de promenade à travers les cimetières parisiens pour solitaire nostalgeek. Tablette numérique en main, aller de tombe en tombe, ressusciter d’illustres faciès : à Montparnasse, Jean Dutourd, Henri Troyat, Yves Mourousi, Gérard Brach, le professeur Choron, Henri Alekan ou Tina Aumont ; au Père-Lachaise, Jean-François Lyotard, Félix Guattari, Jean-Paul Aron ou Teo Hernandez (le cinéaste mexicain qui réalisa Trois gouttes de mezcal dans une coupe de champagne et dont l’épitaphe, qui rappelle cet étrange et beau titre, intrigue tant).

Pour accéder à ces épatantes archives, se rendre sur you tube et taper « Cinématon + le nom de la personnalité recherchée ». On trouvera la liste des cinématonnés sur le site personnel de Gérard Courant :
http://www.gerardcourant.com/index.php?f=7

Afin de convaincre les réticents et les sceptiques, voici (emprunté sur le site précité) ce qui a été dit sur cette oeuvre sans équivalent :

Avec le presse-purée électrique, la bombe atomique, la Mariée mise à nu par ses célibataires même, le cinéma sans images et l’orange sans pépins, les Cinématons sont, à l’évidence, une des inventions majeures du XX e siècle. Louons-en à jamais leur fondateur et tressons-lui une dernière couronne de périphrases méritées : salut donc à toi, ô Nadar du super 8, ô grand ordonnateur de nos pompes pas encore funèbres, ô Saint-Simon visuel de cette fin de siècle, ô Jivaro de nos têtes !

(Dominique Noguez, Éloge du cinéma expérimental, éditions Paris expérimental, 2000)

À ma connaissance, mon Cinématon est l’image la plus fidèle et la plus authentique que l’on ait faite de moi. Ni la télévision avec son cortège d’assistants, ni le cinéma avec ses impressionnants moyens techniques ne sont arrivés à une telle intensité et à une telle vérité. C’est fascinant. Pour ma part, je trouve cette expérience beaucoup plus utile et sincère que tous les films de la Nouvelle vague – Godard compris. Ces films avaient pour but d’épater le bourgeois et, aujourd’hui, ils ne résistent pas une seule seconde – à l’exception peut-être de À bout de souffle – à une nouvelle vision.
Pour en revenir à ce Cinématon, je n’ai qu’un regret : celui de m’être figé et renfermé au bout de quelques secondes, alors qu’au début, j’étais souriant et détendu. J’aurais dû agir comme Louis Calaferte qui m’a sidéré par son jeu de cache-cache émotionnel avec la caméra. Mais avec Cinématon, on n’échappe pas à sa vérité intérieure. La décontraction puis le sérieux qui se dégagent de ce « petit » film sont peut-être les deux facettes de ma personnalité que le principe, sans concession du film, a révélées.
Avez-vous remarqué ? Pendant le Cinématon de Calaferte, la salle s’esclaffait. Quant vint mon tour le silence se fit et dura jusqu’à la fin. Il y avait quelque chose de grave qui passait à la fois sur l’écran et dans la salle. Certaines personnes avaient envie de plaisanter, mais elles se retenaient comme si quelque chose les en empêchait. C’est troublant. Le principe du Cinématon est vraiment très fort.
Au départ, on pense que cette liberté que le cinéaste nous offre sur un plateau va être facile à organiser. On s’aperçoit très vite qu’elle est, au contraire, ce qu’il y a de plus difficile à gérer car nous n’avons ni l’habitude, ni l’expérience de la pratiquer.

(Jean-Paul Aron, débat public au cinéma Studio 43 à Paris, 8 décembre 1986)

Gérard Courant est un grand metteur en scène. Ses Cinématons sont des documents uniques et extraordinaires. Un jour, Pasolini m’a dit : « C’est un peu bête que toi et moi on fasse du cinéma car le cinéma va s’autodétruire ». Et bien, quand le cinéma aura disparu, il restera les Cinématons.

(Fernando Arrabal, émission Club 6, télévision M6, 17 mars 1988)

Le Cinématon renoue avec la vocation originelle du cinématographe, émerveillé par la reproduction du mouvement et la possibilité de conserver la trace d’une existence. L’émotion naît de découvrir au cinéma la palpitation d’un corps : respiration, clignements d’yeux, hochements de tête. Tout est enregistré sans possibilité de reprise : les gestes manqués, les maladresses, les hésitations… Tout un corpus gestuel, honni du cinéma traditionnel, est ainsi exhibé, rendant caduque la notion de réalisme dans le cinéma de fiction. La pellicule a impressionné le souvenir de 3 minutes 20 d’existence. Elle restitue dans sa pesanteur, le temps qui est passé un jour. « La mort au travail », disait Cocteau du cinéma.

(Jacques Kermabon, La Revue du cinéma, n°388, novembre 1983)

Enfin, dédié à tous ceux qui souhaiteraient tant que je me taise, mon propre passage devant l’objectif de Gérard Courant, au printemps 2010 :
http://www.youtube.com/watch?v=pyYszIFsCrs

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