Il était de ces personnalités dont on occulte systématiquement le (s) prénom (s). Rendons-lui son état-civil complet : Édouard-Jean Empain, baron, est mort le 20 juin dernier, à l’âge de quatre-vingts ans.

De nationalité belge, fils d’une artiste américaine, Rozell Rowland, qui avait eu son heure de gloire au temps du burlesque, né à Budapest, son berceau doré était empli des prémices d’une vie heureuse. Elle ne le fut qu’à moitié, la première.

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Voici comment Jean Durieux et Patrick Mahé débutent leur récit de l' »affaire Empain » dans Les Dossiers secrets de Paris Match, 60 ans de scoops, 60 ans d’Histoire (Robert Laffont, 2009) :

26 mars 1978. Hirsute, amaigri, hagard dépenaillé. L’homme qui erre dans le métro, entre la porte d’Ivry et l’Opéra, n’est pas un vagabond que le destin conduit à faire la manche dans les premiers jours du printemps. Les voyageurs se détournent de cet individu à l’odeur pestilentielle, car nul ne sait encore que ce visage dont on devine de très jolis traits creusés par l’épreuve est celui du baron Empain.

Deux mois plus tôt, le 23 janvier, c’est en fringant capitaine d’industrie qu’il est tombé entre les mains d’un gang de petits malfrats impitoyables.
Édouard-Jean Empain est inconnu du grand public. Il faut vraiment être initié pour voir derrière le quadra aux allures de play-boy, qui chasse le faisan à Rambouillet avec le président Giscard d’Estaing, un patron cousu d’or. Plus initiés encore sont ses partenaires de jeu, tel Yves Montand, avec qui il croise le carré d’as dans des parties de poker à francs (très) lourds. Le groupe Empain, c’est surtout le troisième empire financier français – cent cinquante sociétés, cent trente mille employés, vingt-deux millions de chiffre d’affaires, un quasi-monopole sur la construction des centrales nucléaires.

Le baron partage son temps entre ses bureaux, rue d’Anjou, près de la Madeleine, et son somptueux immeuble de l’avenue Foch avec piscine et salle de projection. De quoi attirer la convoitise et devenir un enjeu à rançon, malgré soi.
L’époque est d’ailleurs au règlement de compte politique à travers l’Europe des extrémistes. En Allemagne, Hans Martin Schleyer, richissime président de sociétés, cible des activistes anticapitalistes, est retrouvé assassiné dans le coffre d’une voiture, quarante-quatre jours après son enlèvement.
En Italie, les Brigades rouges visent Aldo Moro, chef de file de la Démocratie chrétienne et cinq fois président du Conseil. Un commando surarmé encercle sa voiture sur la route du Parlement et fait feu : cent balles sont tirées, cinq morts et le leader politique est embarqué, manu militari, pour un rapt crapuleux sans espoir de retour malgré les prières du pape Paul VI.

Le baron Empain fut libéré après soixante-trois jours de captivité, brisé par l’épreuve tant au physique (ses ravisseurs lui avaient coupé une phalange qu’ils avaient envoyée à la famille comme preuve de leur détermination) qu’au moral (il expliqua que seul son chien avait été heureux de le revoir ; il devait divorcer et quitter le groupe qu’il présidait) et ses ravisseurs arrêtés. Motivés par l’argent (une rançon de plusieurs dizaines de millions de francs avait été exigée), ils furent condamnés en 1982, le baron Empain déclarant publiquement leur avoir pardonné afin que la sanction ne soit pas trop sévère.

Mort dans la discrétion qu’il avait souhaitée, il fut inhumé à Bouffémont, la commune du Val-d’Oise où il avait passé une grande partie de sa vie dans le château acquis en 1860 par sa famille.

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La commune honora son plus célèbre mais aussi son plus secret résident.

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Pas de chapelle dynastique pour lui mais une simple tombe, non encore couverte de monument, creusée dans la partie moderne du cimetière. Sur la plaque d’identité, le surnom qui lui avait été donné dès l’enfance : Wado.

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Août 2019 : en retournant au cimetière de Bouffémont où a été inhumé le journaliste Pierre Péan, j’ai découvert qu’un monument avait été placé sur la tombe :

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