Trouvé ces lignes, datées du 8 septembre 1926, dans le Voyage au Congo d’André Gide (Folio, 1995) :

Hier soir, arrêt à N’Kounda, sur la rive française. Étrange et beau village, que l’imagination embellit encore; car la nuit est des plus obscures. L’allée de sable où l’on s’aventure luit faiblement. Les cases sont très distantes les unes des autres ; voici pourtant une sorte de rue, ou de place très allongée ; plus loin, un défoncement de terrain, marais ou rivière, qu’abritent quelques arbres énormes d’essence inconnue ; et, tout à coup, non loin du bord de cette eau cachée, un petit enclos où l’on distingue trois croix de bois. Nous grattons une allumette pour lire leur inscription. Ce sont les tombes de trois officiers français. Auprès de l’enclos une énorme euphorbe candélabre se donne des airs de cyprès.

J’aurai l’occasion, bientôt je l’espère, de reparler du Congo. En attendant, Gide repose à Cuverville (Seine-Maritime), auprès de son épouse (par ailleurs sa cousine), Madeleine. Je ne m’y rends pas chaque année mais, lorsque j’y vais, n’y croise personne, preuve qu’on peut entrer de son vivant dans la Pléiade (lui le premier, en 1939) et ne pas s’épargner le Purgatoire.

Sait-on que la plus célèbre formule de Gide, Familles, je vous hais !, tient lieu d’épitaphe à une défunte alsacienne ? Son mari, nonagénaire, en conflit avec leur fille, a bataillé pour obtenir le droit de la faire graver sur la pierre tombale. Après un premier refus, l’autorisation fut accordée, à condition que fussent mentionnés le nom de l’auteur et le titre de l’ouvrage, Les Nourritures terrestres, dont la phrase est tirée. Il y a bataille d’avocats, encore à l’heure actuelle, pour obtenir son effacement. Doit-on accepter l’intrusion d’un conflit privé dans un lieu public ? Le contenu de la phrase est-il raciste, injurieux ou de nature à troubler l’ordre en quelque manière ? Nous attendons les réponses de messieurs les juristes mais constatons qu’avec cette affaire, Gide est encore un peu parmi nous.

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