Le 20 décembre 2021 mourait Pierre Philippe (1931-2021).

Diable d’homme.
Ma plus haute admiration.
Deux prénoms pour composer une identité lui valant des dizaines d’homonymes (dont le pianiste historique des Frères Jacques) mais une présence unique sur la scène culturelle. La mémoire des arts et du spectacle. Qu’il s’agisse de cinéma (sa passion : il fut d’abord critique avant de devenir réalisateur, scénariste, dialoguiste, documentariste, responsable des archives de la Gaumont), de théâtre, de littérature, de peinture, de mode ou de music-hall, rien ne lui avait échappé. Ce « quasi-autodidacte » semblait avoir tout vu, tout entendu, tout lu et, chose sublime, tout retenu.

Passant de la réalisation d’un film fantastique confidentiel (Midi Minuit, en 1970, avec entre autres l’inquiétant Daniel Emilfork) aux dialogues de longs métrages dits « grand public » (OSS 117 prend des vacances, en 1970, Faubourg 36, en 2008), de l’écriture d’un roman (La Passion selon Peter, L’Air et la chanson) à la restauration d’un chef-d’oeuvre (L’Atalante, de Jean Vigo) ou la conception d’un décor de théâtre, d’une collaboration télévisuelle (Dim Dam Dom, de Daisy de Galard) à un documentaire sur Napoléon, Coco Chanel, Picasso ou Radiguet, il revendiquait le qualificatif de dilettante au sens de « Personne qui s’adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. »

Didier Blonde le décrit dans son livre-enquête (initié par la découverte d’une case intrigante au columbarium du Père-Lachaise) Leïlah Mahi 1932 (Gallimard, 2015), sous un autre nom, ogre tenant l’après-midi ses assises au Wepler où sa table était réservée, engloutissant ses huîtres en corrigeant ses manuscrits, comme le seul homme assez cultivé pour répondre à la question qu’il se pose.
Fort discret dans les médias, le voici, colossal, répondant à Olivier Barrot lors de la publication de son roman L’Air et la chanson (Grasset, 2003).

Pour, selon son terme, « s’ébrouer », il lui prit l’envie au milieu de sa vie d’écrire des textes de chansons. Une centaine à peine. Mis en musique par une pléthore de compositeurs (Astor Piazzolla, Yani Spanos, Michel Cywie, Philippe Dubosson, Lewis Furey, François Hadji-Lazaro…), interprétés d’abord par Ingrid Caven puis, surtout, par Jean Guidoni, enfin par Juliette.
Je ne connais rien de comparable aux textes de chansons signés Pierre Philippe que je cite souvent lors de mes conférences. L’Everest de la production hexagonale. Pratiquement indiffusable sur les ondes (autant en raison de la durée des opus, souvent plus de cinq à six minutes, que des thèmes traités et qu’un mot résume, la marge, qu’enfin de l’écriture, abrasive, foisonnante, expressionniste, nourrie de mille références culturelles). Rassemblé dans un indispensable recueil, Le Rouge, le rose (Christian Pirot, 2004).

Des exemples ?
Jean Guidoni à l’Olympia (Pierre Philippe publia en 2009 Le Roman de l’Olympia, aux éditions du Toucan) en 1983, chantant Midi-Minuit, évocation de la faune hantant les cinémas interlopes (D’ailleurs ils ne font pas tous escale à Sodome / Les tristes passagers il y a ceux qui rient / Il y a ceux qui mangent il y a ceux qui dorment/ Et qu’indiffère l’orgasme de Claudine Beccarie).

Le même, interprétant Chez Guitte (On se cramponne C’est le retour / Vers l’an quarante l’année vulgaire / Mais pour Guitte c’est les années d’amour / C’est pas d’veine d’êtr’ jolie dans la guerre / Dans sa boîte de la rue d’Ponthieu / Sûr qu’elle n’écoutait pas Radio-Londres / Marguerite au beau milieu des Chleuhs / Pt’-êtr’ qu’on aurait souhaité la tondre).

Enfin (je dois m’arrêter car si j’écoutais mon goût, je publierais ici tout ce que je connais de Pierre Philippe), selon moi, le plus grand moment vécu aux « Victoires » (portant parfois bien mal leur nom) de la musique : Juliette, en 1997, dans Rimes féminines. Avez-vous déjà entendu quelque chose de comparable ?

Pierre Philippe s’éteignit, jeune nonagénaire, cinq jours avant Noël 2021 dans l’ignorance, et donc l’indifférence, totales des médias.
Au cimetière communal (attention, il ne s’agit pas du cimetière parisien !) de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), où se trouve aussi la tombe de Roger Pierre, sa case cinéraire est anonyme.
Qui s’en étonnera ?