Étrange destin que celui de Georges Courteline, né Moinaux (du piaf, il avait aussi la physionomie), fils d’un vaudevilliste à succès (enterré au cimetière sud de Saint-Mandé), devenu un des maîtres de la forme brève et le plus fameux pourfendeur des bêtises de l’administration.
Tôt plongé dans le bain littéraire, il fréquente Catulle Mendès (sa tombe est au cimetière Montparnasse), apprend la bicyclette avec Tristan Bernard (couché au cimetière de Passy), devient le protégé d’Alphonse Daudet (qui repose dans la chapelle de sa belle-famille, au Père-Lachaise), publie l’Art poétique de Verlaine (le plus fameux hôte du cimetière des Batignolles) et compte parmi les douze jeunes poètes désignés pour veiller le catafalque de Victor Hugo, la nuit précédant son entrée au Panthéon.
Devenu gratte-papier au Ministère des Cultes, il en observe la faune durant plusieurs années et, vaincu par sa légendaire paresse, finit par proposer à un collègue de bureau d’effectuer son travail à sa place en échange d’une partie de son salaire ! Il s’adonne, dès lors, à son idéal : écrire, fréquenter les cafés de Montmartre, jouer des heures à la manille avec ses copains, vivre en bohème. En expert, il déclare : On change plus facilement de religion que de café. Le monde, d’ailleurs, se divise en deux classes : ceux qui vont au café et ceux qui n’y vont pas. De là, deux mentalités parfaitement tranchées et distinctes, dont l’une – celle de ceux qui y vont – semble assez supérieure à l’autre.
Aucune institution ne lui résiste, ni la police (le Commissaire est bon enfant) ni l’armée (les Gaîtés de l’escadron) ni, évidemment, l’Hydre de la fonction publique (Messieurs les ronds-de-cuir). Il entre à l’Académie Goncourt, reçoit le Grand Prix de l’Académie française mais confie qu’il échangerait tous ses honneurs contre… une part de sa jeunesse. Se dévoile alors un être hanté par la fuite du temps, qui avait même retouché sa date de naissance, et dépossédé de toute illusion : Le marmot devient un enfant, puis un jeune homme, puis un homme jeune, arrive la cinquantaine, il commence à décliner et c’est bientôt la vieillesse, puis la décrépiture : il n’a pas eu le temps d’être un homme…
Celui qui a tant fait rire ses contemporains doit affronter la pire des fins de vie.
Son diabète provoque une gangrène rendant inéluctable l’amputation d’une puis de l’autre jambe. L’inventeur du conomètre meurt le lendemain de la seconde opération, le 25 juin 1929, jour de ses soixante-et-onze ans. Sur sa tombe du Père-Lachaise, une phrase qui n’est pas sa célèbre devise (Je m’en fous) mais en dit beaucoup sur lui : J’étais né pour rester jeune et j’ai eu l’avantage de m’en apercevoir le jour où j’ai cessé de l’être.
Source : Emmanuel Haymann, Courteline, Flammarion, 1990.