Ce 14 juin 1800, Jean-Baptiste Kléber, chef de l’Armée française en Égypte depuis le retour de Bonaparte à Paris, était assassiné au Caire, poignardé dans les jardins de sa résidence, par un jeune musulman fanatique, Soleyman-el-Khaleby.
Commença alors une étonnante aventure posthume…
Le 17 juin 1800, tandis que l’assassin était exécuté par le sinistre bourreau Barthélemy (on lui appliqua le supplice du pal), Kléber connaissait son premier enterrement, à l’intérieur du fort Ibrahim.
Quand la nouvelle de sa mort parvint à Paris, il fut décidé de lui construire, place des Victoires, un sépulcre commun avec Desaix, tué aussi le 14 juin 1800, à la bataille de Marengo. Le mausolée se limita à une maquette de toile et de plâtre qui fut vite démolie. Dans le même temps, les compatriotes strasbourgeois de Kléber avaient érigé un cénotaphe monumental (14 mètres !) et, paraît-il, du plus mauvais effet (on se moquait de la représentation du général, peu à son avantage, due à un sculpteur nommé… Malade). Les nazis n’en laissèrent rien en 1940.
Revenons au Caire où, en 1801, le corps de Kléber fut évacué en même temps que les troupes françaises. Après la remontée du Nil et la traversée de la Méditerranée, le cercueil du général fut mis en quarantaine au large de Marseille, dans la chapelle (aujourd’hui démolie) du château d’If. On ne l’en sortit qu’en 1818 (!) pour le rapatrier, après un voyage de trois semaines, à Strasbourg, précisément dans la cathédrale où un caveau avait été aménagé dans la chapelle Saint-Laurent.
Il était alors question de transférer à nouveau le grand homme sous un monument érigé pour l’occasion et qui serait à la mesure de sa gloire. Différents projets furent abandonnés avant qu’on ne se décidât enfin à exhumer Kléber de la cathédrale (on constata alors qu’il avait été fort mal embaumé) pour le conduire, le 13 décembre 1838, en grande pompe jusqu’à la place d’Armes (aujourd’hui place Kléber). En 1840 fut dévoilée la fameuse statue que nous connaissons encore, oeuvre de Grass, en même temps que la place recevait son nom actuel.
Ce fut alors un long repos que ne troubla pas même l’annexion de l’Alsace au Reich (1870-1918). En revanche, les occupants de 1940 virent dans la statue un obstacle aux rassemblements de masse et un rappel trop voyant de l’Histoire française. L’effigie fut donc déplacée et le cercueil de Kléber prit la direction, le 5 novembre 1940, du cimetière militaire de Cronenbourg où son emplacement fut marqué d’une simple croix de bois où se lisait GENERAL KLEBER (en majuscules et sans accents, jugés trop français).
Quand un autre général, Leclerc, et la 2è D. B. libérèrent Strasbourg (novembre 1944), la croix de bois de Cronenbourg reçut une nouvelle épitaphe : Jean-Baptiste Kléber / Général en chef de l’Armée d’Égypte. Et, dix mois plus tard, c’était, le 16 septembre 1945, le dernier voyage pour réintégrer le caveau de la place Kléber (rebaptisée place Karl-Roos durant les années noires, du nom d’un autonomiste alsacien, exécuté par les Français début 1940, que les nazis considéraient comme un martyr). Depuis, les temps furent plus calmes si l’on excepte la construction, en 1967, d’un vaste garage souterrain tout autour de la tombe (dans le parking, une plaque commémorative signale même la présence du corps de Kléber de l’autre côté de la paroi !).
À chaque fois que je me rends à Strasbourg (j’aurai, je l’espère, l’occasion d’évoquer bientôt ici les richesses funéraires locales), cette histoire me trotte dans la tête lorsque je traverse, souvent de nuit, la place. En lisant la phrase lapidaire inscrite sur le piédestal de granit, Ici reposent ses restes, je me dis que la variante Ici reposent enfin ses restes sonnerait plus juste.
Source : Jean-Paul Bailliard, Kléber après Kléber (I. D. L’Édition, 1999).