Ce 22 décembre marque le cinquantième anniversaire de la mort de maître René Floriot (1902-1975).

Parisien, issu d’un milieu modeste, il fut longtemps le plus célèbre avocat du pays, défendant aussi bien le sinistre docteur Petiot que le président Georges Pompidou dans le cadre de l’affaire Markovic.

Un extrait du portrait (au passage, quelle plume !) brossé en 1952 par Françoise Giroud (Françoise Giroud vous présente le Tout-Paris, coll. L’Air du temps, Gallimard, 1952, pages 88-93) :

À quarante-neuf ans, maître Floriot a l’un des plus gros cabinets parisiens, six collaborateurs, l’air un peu trop jeune, un appartement un peu trop grand, avenue Hoche, un foie un peu trop gros, une Delahaye un peu trop longue qu’il ouvre avec une clef d’or, des ennemis un peu trop venimeux et une cuisinière un peu trop pressée. Ses collaborateurs l’adorent et l’admirent, son appartement impressionne les clients, son foie le condamne à une consommation considérable de bouillon de légumes, ses ennemis l’accusent d’être incapable de refuser une affaire, et à dix heures du soir, la cuisinière impatiente passe la tête par la porte du salon, constate que deux clients attendent encore, et pique un trois cents mètres pour retourner en maugréant dans sa cuisine. Ce galérien luxueux ne quitte ses dossiers que pour aller, à l’aube, le dimanche, chasser le coq de bruyère.
Quel que soit l’endroit où on le rencontre, il plaide. Quand ce n’est pas la cause d’un autre, c’est la sienne. Il ne trouvera jamais de défenseur plus convaincant que cet homme passionné et passionnant.
René Floriot évoque irrésistiblement une locomotive sous pression. Ses rails, il les a tracés lui-même en décidant dès l’âge de douze ans qu’il défendrait la veuve et l’orphelin. Entre autres.
(…)
S’il était industriel, médecin ou banquier, on dirait avec admiration : « Il s’est fait lui-même… » Chez les hommes de robe, on trouve que la fabrication a été trop rapide et que le maître sent encore le métro.
Il le sent peut-être, mais il ne le prend plus. Et depuis fort longtemps.
C’est un petit gars de Paris qui s’est bien débrouillé ; s’il en a gardé la gouaille, il en a aussi la cordialité, la générosité et la bonne humeur chaleureuse. (…)
Il ne veut pas d’une femme qui lui soit de quelque façon supérieure. Il n’aimerait pas non plus qu’on la trouvât inférieure. Alors il demeure célibataire. Il a beaucoup sacrifié à l’ambition, mais pas encore à la paix chez lui. (…)
L’avocat est trop célèbre pour que l’on analyse davantage un talent que reconnaissent même ceux qui n’arrivent pas à le lui pardonner.

Il venait de mourir quand Philippe Bouvard ajouta son propre témoignage (Du vinaigre sur les huiles, Stock, 1976, pages 128-130) :

Sa carrière fut prodigieuse : sur les quinze mille causes dont il avait été le défenseur, il n’avait eu que trois condamnations à mort, n’appartenant pas à la cohorte des maîtres du barreau fatigués parce qu’ils sont obligé de se lever cinq jours sur sept à l’aube…
Il mettait un malin plaisir à disséquer un dossier, à retourner une situation, et lorsqu’il avait fini sa démonstration, plus préoccupé d’efficacité que d’art oratoire, mais parvenant néanmoins à l’éloquence, l’expert était beaucoup plus mal-en-point que l’accusé.
Floriot était un ami charmant mais dangereux. À la fois séducteur et célibataire endurci, il ne pouvait, par définition, avoir pour maîtresses que les femmes de ses amis. Il les lutinait d’ailleurs parfois sans hypocrisie, à l’issue d’un dîner arrosé, avec ce cynisme bon enfant, mais réel, de ceux qui ont vu de trop près les faiblesses d’une société et les turpitudes des hommes. (…)
Doué d’une mémoire prodigieuse, ayant de son métier une conception très stricte et très noble, Floriot a été, trente années durant, le symbole de la réussite dans une profession qui compte tant de ratés et de chômeurs. (…)
Il a disparu et le barreau continue. Pendant des siècles, on continuera à donner du « Maître » aux avocats. Il était sans doute un des très rares à mériter vraiment ce titre.

René Floriot repose au Père-Lachaise dans une division excentrée, la 79è.

Aucun visiteur ne m’a jamais demandé où se trouvait sa sépulture.