Il y a cent ans, le 10 décembre 1923, naissait à Madrid Jorge Semprún.
Quel parcours que le sien.
Un grand-père maternel (qu’il n’avait pas connu), Antonio Maura, président du Conseil du roi Alphonse XIII, un père (républicain) diplomate contraint de quitter l’Espagne en juillet 1936, nommé aux Pays-Bas à la fin des années trente avant de se fixer à Paris avec sa femme et ses sept enfants, l’enfance et l’adolescence sont les périodes de sa vie les plus rapides à résumer.
Brillantes études (primé en philosophie au Concours général), Résistance auprès des Francs-tireurs et partisans, adhésion au Parti communiste d’Espagne, arrestation en Bourgogne par la Gestapo, déportation, ses vingt ans le saisissent dans l’enfer de Buchenwald.
L’après-guerre mêle traductions (il travaille à l’UNESCO) et, surtout, politique. Avec Dolores Ibarruri (« La Pasionaria ») et Santiago Carrillo, il est une des figures de l’opposition communiste au franquisme. Son exclusion du PCE en 1964 (pour n’avoir plus suivi la ligne du Parti) marque le début d’un nouveau temps de son existence, partagée après 1966 entre France et Espagne, celui de l’écriture.
S’ouvrant par un roman autobiographique (Le Grand Voyage, 1963) inspiré par les cinq jours de train qui l’avaient mené de Compiègne à Buchenwald, son oeuvre compte romans (La Deuxième Mort de Ramon Mercader, prix Femina 1969, Netchaïev est de retour, 1987, adapté quatre ans plus tard au cinéma par Jacques Deray), essais (Mal et modernité, 1995, Se taire est impossible, 1995 également, confrontation avec Elie Wiesel, cinquante ans après, de leur expérience de l’univers concentrationnaire, L’Homme européen, 2005, coécrit avec Dominique de Villepin), biographie (Montand la vie continue, 1983) et mémoires (L’Ecriture ou la Vie, 1994).
Mentionnons ici le nom de son fils (dont la mère était la comédienne et dramaturge Loleh Bellon), Jaime Semprún (1947-2010), écrivain et éditeur (Editions de l’Encyclopédie des Nuisances) d’une incomparable exigence.
Autre corde à son arc : le 7è art. Semprún travaille comme scénariste avec Costa-Gavras (Z, 1969, L’Aveu, 1970, Section spéciale, 1975) mais aussi Yves Boisset (L’Attentat, 1972), Alain Resnais (Stavisky, 1974), Pierre Granier-Deferre (Une femme à sa fenêtre, 1976), Joseph Losey (Les Routes du sud, 1978) ou Alexandre Arcady (K, 1997). Pour la télévision, il adapte L’Affaire de Jean-Denis Bredin (devenu L’Affaire Dreyfus, réalisé par Yves Boisset en 1995).
Ajoutons à cela le poste de ministre de la Culture du gouvernement espagnol (alors présidé par le socialiste Felipe Gonzalez) durant trois ans (1988-1991) et un couvert à l’Académie Goncourt (élu en 1996, à la mort d’Hervé Bazin).
Mort à 87 ans (quatre ans après sa femme, Colette), c’est au cimetière de Garentreville (Seine-et-Marne), minuscule village du Gâtinais (non loin de Nemours) où il possédait une maison, que se trouve sa tombe.
Il y repose avec, pour linceul, le drapeau républicain espagnol.
Une urne contenant de la terre prélevée sur la terrasse de l’hôtel Bakea à Biriatou (Pyrénées-Atlantiques), commune basque frontalière où il avait longtemps résidé, a été placée devant la sépulture le 7 juin 2013 à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort.
À Biriatou, de la terrasse ombragée du restaurant, je regardais l’Espagne, sur la rive opposée de la Bidassoa. Le soleil se couchait sur l’océan, invisible, au loin. L’horizon de nuages légers, cotonneux, voguant dans un ciel pâle, était encore rougi par son absence imminente. L’Espagne toute proche, interdite, condamnée à n’être qu’un rêve pour la mémoire.