Au cimetière de Passy, la tombe est à l’entrée, juste derrière l’étrange chapelle anonyme sous laquelle repose le galeriste et collectionneur Paul Guillaume, en haut de quelques marches, comme si, jusque dans la mort, elle avait conservé l’habitude d’accueillir ses invités en majesté. Sur la stèle, déjà le lierre est parvenu à oblitérer la date de sa mort, il en sera bientôt de même de son nom.
Qui connaît encore Denise Bourdet (1892-1967), seconde épouse de l’auteur dramatique et administrateur de la Comédie-Française Edouard Bourdet (1887-1945), auprès de qui elle repose ? Malheureuse Denise Bourdet dont on ne cite désormais le plus souvent le nom que pour en faire à tort, on n’ose employer ici le mot de bourde, la mère du journaliste et résistant Claude Bourdet (1909-1996), inhumé à Montparnasse, qui était en fait son beau-fils (la mère de Claude Bourdet était la fameuse poétesse Catherine Pozzi, enterrée à Bergerac).
Roger Peyrefitte, qui n’avait pas la réputation d’épargner ses contemporains, l’évoque en ces termes dans Propos secrets :
Beaucoup de femmes ont traversé ma vie, certaines comme des météores, d’autres plus lentement. Si j’ai eu des liaisons féminines (oui, et certains noms surprendront), c’est une immense amitié qui m’a lié, jusqu’à la fin de sa vie, à Denise Bourdet. Tout nous rapprochait, rien ne nous a séparés, même pas ma fameuse Lettre ouverte à François Mauriac, avec qui elle était très amie. Mauriac a cru qu’elle romprait avec moi, il s’est trompé. Furieux, il est resté un an sans lui donner signe de vie.
Cette femme adorable fut aussi l’une des femmes les plus distinguées, les plus élégantes, les plus intelligentes de l’après-guerre.
Et parce que le mémorialiste n’oubliait jamais d’être féroce, de rappeler en termes peu délicats le fameux affrontement entre Edouard Bourdet et Henry Bernstein (enterré à quelques mètres d’eux !) :
Et elle avait provoqué un duel célèbre, avant-guerre, entre son mari et Henry Bernstein. Les Bourdet habitaient quai d’Orsay et Bernstein sur la rive droite, presque en face. Eperdument amoureux de Denise, il lui envoyait des signaux par-dessus la Seine. Edouard Bourdet éprouva l’agacement du mari, et du rival en gloire, car ces deux auteurs se partageant la faveur d’un immense public. Bourdet a demandé réparation par les armes. Tout cela pour une femme frigide, c’est assez drôle.