Au cœur de cette 28è division du Père-Lachaise, hantée par le souvenir des guerres napoléoniennes, voici une stèle moderne qui tranche avec les bustes, cippes et autres chapelles des sabreurs environnants : celle de l’artiste franco-chinois Chen Zhen (1955-2000), décédé à Villejuif il y a tout juste un quart de siècle, le 13 décembre 2000, victime d’une anémie hémolytique auto-immunitaire. Sous son identité s’y détachent ces deux mots énigmatiques :

                                                                                   Transexpériences

                                                                                    Synergies

Né à Shanghai dans une famille de médecins ouverte à la culture occidentale (ses parents connaissaient le français et l’anglais), Chen Zhen s’était établi à Paris en 1986 pour étudier aux Beaux-Arts. Fasciné par les relations entre matière et esprit, collectif et individu, intériorité et extériorité, il abandonna peu à peu la peinture pour les installations (ses fameuses « Transexpériences »).

La Fondation Pinault possède plusieurs de ses œuvres comme cette Bibliothèque musicale dont les haut-parleurs sont constitués de quatre rangées de pots de chambre chinois traditionnels

ou ce Village sans frontières en bougies, sa dernière réalisation, inspiré par sa rencontre avec des enfants des rues au Brésil qui lui avaient confié ce que serait la maison de leurs rêves.

Sa Danse de la fontaine émergente, figurant le corps transparent en verre et acier inoxydable d’un dragon s’enfouissant dans le sol pour réapparaître quelques mètres plus loin, est visible dans le 13è arrondissement de la capitale, précisément place Augusta-Holmes.

On citera également sa Salle de purification

ou sa Chaise de concentration :

Irrigué par deux cultures, il aimait dire : « Les Français disent « C’est du chinois » pour indiquer quelque chose d’incompréhensible. Je le prends comme un très grand compliment. Cela montre que les Chinois n’abordent pas les problèmes de front et qu’ils commencent par ne rien affirmer. Nous nous exprimons par allusions, évocations, par métaphores en nous servant d’un prétexte, d’un paradoxe, d’un renversement d’idée, d’un euphémisme. »

Et usait de cette métaphore pour évoquer son travail : « Dans la réalisation de mes projets artistiques, le concept sème et les mains récoltent. Je reste encore aujourd’hui un paysan, dans le sens où mes mains m’assurent chaque fois de la qualité de la cueillette. Je crois à l’intelligence de la main, et surtout à la force d’équilibre entre main et savoir. Si mes pensées se situent dans l’ombre, alors mes mains deviennent lumière. Mes mains représentent la moitié de mon œuvre, de mon cerveau et de mon existence. »

Autrement dit, tout sauf de l’art comptant pour rien.