Le mort du jour se nomme Sergio Yede et le 15 juin n’était sûrement pas son anniversaire. Mais c’est aujourd’hui que nous avons appris son décès (en même temps que son existence), survenu en 2010, à l’âge fort prématuré de 28 ans, ainsi que l’étonnante histoire dont il s’avère être, bien malgré lui, le héros.
Abandonnant au monde une épouse épatante mais plus fidèle que dans la chanson de Brassens, le défunt fut porté en terre dans la bourgade de Dos de Mayo située dans la province de Misiones, à l’extrême nord-est du pays (la pointe de ce doigt argentin qui, sur la carte, s’insinue entre le Brésil et le Paraguay). Adriana, sa veuve, elle, retourna vivre à Buenos-Aires, distante de plusieurs centaines de kilomètres mais ne l’oublia pas.
Lui rendant visite plusieurs fois dans l’année au cimetière San Lazaro et restant quelques jours sur place lors de chaque voyage, elle résolut d’éviter les inconvénients de l’hôtel ou de la chambre chez l’habitant en s’installant à demeure dans la dernière de son bien-aimé ! Le tombeau devint, en quelque sorte, sa résidence secondaire. Elle ajouta ainsi à l’ordinaire du sépulcre un lit, une radio, un ordinateur avec liaison internet et, afin de parfaire son autonomie, une petite cuisinière… Les gendarmes l’ont cueillie en pyjama, il y a quelques jours, devant le défunt embaumé dont le cercueil était ouvert…
En ces temps où l’effarante floraison des appareils permettant à deux êtres humains de se parler n’aboutit qu’au triomphe de l’incommunicabilité et où la pénurie de logements se révèle chaque année plus cruelle, on tremble à l’idée que ce fait divers parvienne jusqu’à des esprits fragiles.

À propos de faits divers, je songe, en me relisant, au miel que l’immense Félix Fénéon aurait tiré de tout cela, et en seulement trois lignes.
Ne lui doit-on pas des merveilles comme :

Depuis son enfance, Mlle Mélinette, 16 ans, moissonnait
sur les tombes de Saint-Denis les fleurs artificielles.
Fini : elle est au Dépôt.

Ou encore :

Le matelot Renaud s’est suicidé à Toulon avec sa maîtresse.
Leur voeu dernier : le même cercueil, ou, du moins,
la même fosse.

(Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Macula, 1990).

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