À l’entrée du cimetière Central de Toulon (Var) se trouve la tombe de Raimu (1883-1946) qui était né un 18 décembre.
Les lignes qui suivent sont empruntées au livre de Raymond Castans, Marcel Pagnol m’a raconté (La Table ronde, 1975) :
(…) Quelquefois notre assemblée recevait un invité d’honneur.
Ce fut un jour Orson Welles.
Pagnol avait pour lui une affection qui remontait à leur première rencontre, en 1946.
Orson Welles était arrivé chez lui avenue George-V.
« Pardon, monsieur, avait-il demandé, je voudrais rencontrer M. Rai-Miou.
Hélas, monsieur, il est mort la semaine dernière », lui avait répondu Pagnol tout triste.
En apprenant ça, Orson Welles s’était mis à pleurer. Il ne connaissait Raimu que par la Femme du boulanger qu’il avait vu jouer dix fois aux États-Unis. Il avait dit à Pagnol :
« C’était le plus grand de nous tous ! »
Ce jour-là, Orson Welles dit à Pagnol :
« Il y a une chose que vous ne savez sans doute pas, Marcel. J’ai débuté au théâtre à Dublin, à dix-sept ans, en jouant le rôle de Marius dans Marius dont on avait changé le titre pour l’appeler le Port des sept mers. »
(…)
À tous ces rendez-vous des fins d’après-midi, il y avait aussi un personnage que je n’ai pas cité : un fantôme.
Un fantôme que Pagnol faisait apparaître à chaque occasion.
Un fantôme superbe, sapé comme un prince de la tête aux pieds, le feutre penché sur un oeil ce qui l’obligeait à le fermer à moitié, le havane au bec, la cravate à pois, la pochette allumeuse, l’oeillet à la boutonnière, le complet prince-de-Galles, un peu trop clair peut-être, mais coupé par un virtuose du ciseau dans les flanelles anglaises les plus raffinées, les guêtres blanches, les escarpins un peu trop pointus sans doute, mais taillés par un artiste de l’alène dans les cuirs italiens les plus délicats et cirés à l’os de veau jusqu’à en paraître vernis…
Ce fantôme un peu trop voyant, vous l’avez deviné, c’était celui de Raimu.
Ici, bien sûr, on l’appelait par son prénom : Jules.
Toute sa vie, Pagnol a gardé, auprès de lui, comme une compagnie familière, l’ombre gigantesque de son ami. Il en parlait comme s’il venait tout juste de sortir pour cinq minutes, le temps d’aller acheter des allumettes. Il allait revenir d’une minute à l’autre.
(…)
Pagnol a écrit, à la mort de Raimu, quelques lignes bien émouvantes.
Sa fin prématurée l’a privé, et nous a privés, des dix plus belles années de son génie.
Par bonheur, il nous reste ses films…
C’est là que j’ai pu mesurer la reconnaissance que nous devons à l’art magique qui ranime le génie éteint… et qui rend à notre tendresse le sourire des amis perdus.
Voir aussi :
Marseille, cimetière de La Treille