INTROÏT

Requiem aeternam dona eis, Domine…

Voici ma fin. On ne prononcera plus le nom de Schubert, plus jamais.
D’ailleurs, l’a-t-on jamais prononcé, ce nom ? L’ai-je entendu louer, en dehors du cercle fort restreint de mes si chers amis qui ont tant essayé de me protéger du mal que pouvait me faire autrui ?
J’admets que j’ai toujours semblé fragile à qui m’approchait. Du fait, sans doute, de ma petite taille. Ou de mon air d’être sans cesse ailleurs, rêveur, absent. Je reconnais que j’étais effectivement rêveur et absent. Et que j’étais ailleurs, sans cesse. Quant à ma taille, il faut bien constater, non sans amertume, qu’elle se situe au-dessous de la moyenne, du moins si l’on ne considère que le sens de la hauteur.

Ainsi commence l’ultime livre publié par Pierre Charras (1945-2014), Le Requiem de Franz (le Mercure de France, 2009), fiction admirative (c’était son expression) inspirée par la mort prématurée, à trente-et-un ans, de Franz Schubert. Ceux qui connaissent Pierre (et pas Yves !, comme on lit parfois) Charras (son superbe Monsieur Henri, comprenez Henri Calet, avait reçu le prix des Deux-Magots en 1995) savent le charme entêtant de ses phrases, nettes, brèves, légères. Justes. Sans longueur ni note fausse. Textes courts mais grands textes. Il ne tient qu’aux autres de goûter le bonheur de sa découverte.
Il était un familier du Père-Lachaise où il venait en riverain (des cafés du quartier, le « Ramus » avait sa préférence). Il y est désormais couché, dans une division quiète, la 53è, où les nouveaux exploiteurs du site ne racolent guère. Et ce jour marque le premier anniversaire de sa mort.

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Nous nous étions beaucoup fréquentés, il y a quinze ou vingt ans déjà, signant nos livres aux publics de Limoges, Toulon ou Saint-Étienne, sa ville natale. Souvent, à la fin de mes promenades, je croisais place Gambetta son sourire de jeune homme. Plusieurs fois, au Loup du faubourg, rue de la Roquette, nous étions allés écouter Annick, la femme de sa vie, chanter Francis Blanche et aussi Pierre Dac. Je lui avais d’ailleurs retrouvé les articles qu’il avait signés dans L’Os à moelle relancé par Jacques Pessis, il y a une trentaine d’années. Il me racontait ses tournages (le talent de ne pas avoir été qu’un écrivain mais aussi un comédien dont le visage et la voix sont encore parmi nous) avec une prédilection pour Vent de galerne, où il jouait un curé.
C’était un type merveilleux, on ne peut pas dire autre chose. Parlons souvent de lui. Et lisons-le puisque son charme est entier dans ses livres.

Son ami Luis Del Rio Donoso a composé ce poème :

L’Enfant des étoiles

Tu es le temps dans le temps

Les hommes et leurs masques ne t’inquiètent pas
Moins encore les pierres déguisées de saintetés

Tu es les yeux des rochers dans l’invisible
Où ta mais stylo décrit les mystères
Et efface l’obscur cahier d’existence
De l’enfant de ton Père

Ton arme est chargée d’alphabet
Elle devient un arbre totem
Pour protéger ton foyer des mauvais esprits !

Tu es le temps dans le temps

L’homme des perceptions entre l’eau et la lumière
Symboles pour honorer ta compagne
Femme-Océan / Femme-Poisson / Femme-Lune

Tu es un livre ouvert
Qui allume la parole de minuit
La voix d’un silence à l’infini…

Comme le temps de ton temps
Où tu rêves
Enfant des étoiles !

Avec quelle discrétion le mot Écrivain est-il gravé sur sa pierre tombale !
Sous son nom, les mots d’Horatio à la fin d’Hamlet dont il avait fait le titre d’un de ses plus beaux livres : Bonne nuit, doux prince.

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