Le 27 juillet 1890, Vincent van Gogh que Jeanne Calment, encore vivante il y a quinze ans, se rappelait avoir croisé dans les rues d’Arles (son principal souvenir était de l’avoir trouvé très laid), se tirait une balle en pleine poitrine. Il devait mourir deux jours plus tard.
Depuis le récent décès de Pierre Gerald (doyen des comédiens français, il allait avoir 106 ans), il ne doit plus rester personne ayant un souvenir précis de Sarah Bernhardt (il l’avait personnellement connue grâce à ses parents) mais vivent peut-être encore des hommes, ou plutôt des femmes (les statistiques de longévité leur seront favorables encore quelques années avant que la parité ne s’impose pour causes de mode de vie uniforme et d’hécatombe due au cancer féminin du poumon), dont les yeux croisèrent, sans en fixer l’image, la silhouette de la Grande Dame du théâtre français, expression consacrée, rentrant boulevard Péreire. Ou de Marcel Proust, lors de ses rares sorties vers quelque musée ou le refuge nocturne qu’était pour lui l’hôtel Ritz. Ou, qui sait, plus extraordinaire encore, Modigliani et Jeanne Hébuterne, enceinte, marchant vers leur destin tragique.
Il reste bien de nombreux survivants de la Première Guerre mondiale, certes plus aucun combattant, mais des enfants, des adolescents, voire de jeunes adultes (l’actuelle doyenne de l’humanité, l’américaine Besse Cooper, avait 21 ans quand, en 1917, son pays s’engagea dans le conflit), témoins de la souffrance endurée.
Une des petites-filles d’Edouard Branly continue de venir au Père-Lachaise se recueillir sur la tombe d’un grand-père vénéré et qu’elle a parfaitement connu, qui avait vu le jour… sous Louis-Philippe (en 1844) !
Le médecin Bretonneau eut deux épouses, la première, plus âgée que lui, était née sous Louis XV, la seconde, largement sa cadette, mourut après 1918 !
La veuve du maréchal de Richelieu, le vainqueur de Fontenoy, enchantait l’impératrice Eugénie en égrenant ses souvenirs : « Mon époux, qui avait été page de Louis XIV… «
Parti de van Gogh (inhumé à Auvers-sur-Oise, auprès de son frère Theo, un lierre unissant leurs stèles) et Jeanne Calment (qui repose en terre arlésienne, au cimetière du quartier de Trinquetaille), je songe à Lucette Destouches, la veuve de Céline, qui vient de célébrer son centenaire, riche de souvenirs qui ne l’ont pas quittée. Persuadée qu’elle n’atteindrait jamais cet âge, elle fit graver, il y a déjà longtemps, au cimetière des Longs-Réages de Meudon, sur leur dalle commune : Lucette Destouches 1912-19..
Or, ces caractères-là ne s’effacent pas facilement comme en témoigne cette photo prise au cours de mes déambulations nécropolitaines :