Etant passé aujourd’hui quai Conti, je me permets d’évoquer deux académiciens inhumés au Père-Lachaise qui furent élus avant quarante ans, moururent tout juste octogénaires et firent mentir leur qualité d’Immortels en rendant l’âme chacun un 3 septembre, Adolphe Thiers en 1877, Henri Lavedan en 1940.
Du premier on connaît l’ambition, l’omniprésence sur la scène politique durant un demi-siècle, l’impitoyable répression de la Commune dans un flot de sang et même la démesure de son mausolée, inversement proportionnée à sa très petite taille. On sait moins qu’il mourut après un copieux déjeuner, sentant au dessert (en l’occurrence, des pêches) les premiers signes du mal qui devait l’emporter en fin d’après-midi.
Du second on ne sait plus rien, oublié qu’il est des metteurs en scène de théâtre, relégué dans un purgatoire dont bien malin qui prédirait quand il en sortira. Quant à ses oeuvres romanesques et ses chroniques, ce n’est pas médire que de les supposer livrées à la poussière dans des maisons de vacances aux volets clos. Le titre d’une de ses nouvelles, Je l’ai promis à Gertrude, en dit déjà beaucoup…
Ce fut pourtant un de ces auteurs à la mode de la Belle Epoque finissante et deux aspérités m’ont toujours accroché à lui qui semble aux lecteurs de notre temps désespérément lisse. De sa pièce L’Assassinat du duc de Guise, on fit un film, dont il écrivit le scénario, qui fut l’un des premiers (le premier ?) de l’Histoire à se voir offrir une musique composée exprès pour lui, et par Camille Saint-Saëns, s’il vous plaît. Surtout, son élection sous la Coupole ne rallia pas l’unanimité des votants, beaucoup, mais pas assez, lui préférant Paul Hervieu. L’impétrant, âgé de trente-neuf ans, choquait par ses audaces et la désillusion propre à la jeunesse de son temps. Le discours de celui qui l’intronisa, le savoisien Costa de Beauregard, fut un modèle de vacherie, une suite de remarques cruelles qu’il dut écouter sans broncher, un festival de sous-entendus acerbes, un éreintement dans les règles.
À vous, bien à vous, ces alternances de joli cynisme et de sentimentalité presque naïve qui font osciller votre œuvre de la langue verte aux gazouillements de la Bibliothèque rose. Non, vous n’êtes pas de ceux que la vie a pris sévèrement dans leur berceau ; rien n’est venu rudoyer vos premières tendresses, froisser vos instincts, contrarier vos désirs. Autour de votre cœur à peine éclos, vous avez rencontré, et jusqu’au superflu, ces affections, ces exemples, ces traditions qui réchauffent et guident l’enfance. Bien douce fut sans doute la vôtre, puisque vous nous en faites sans cesse la confidence attendrie. Ce premier succès explique, comme le remarquait un de vos amis, la passion que vous avez mise depuis à ne pas vous laisser devancer par plus moraliste que vous.
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Mais encore aurait-il fallu compter un peu avec l’essoufflement de qui vous aime et essaie d’emboîter ce pas redoublé. Vous imaginez que chacun a fréquenté chez Nicolet et qu’il est tout simple, pour vous suivre, de mettre habit bas, comme ces braconnières d’amour en corset et en jupon qui, dans Viveurs, sautent avec un si bel entrain par-dessus les tables et les préjugés. Sur quel invraisemblable volet avez-vous pu, Monsieur, trier ce joli monde ? et le faites-vous sauter ainsi simplement pour qu’il attrape de-ci, de-là, à la volée, des effets comiques ou plastiques, singulièrement aventurés ?
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Non, je vous soupçonne d’une gageure. Vous aviez sans doute parié de faire triompher, devant une salle émoustillée et ahurie, cette fameuse théorie de Dumas, qu’il n’y a pas de pièces immorales ni indécentes, qu’il n’y a que des pièces mal faites.
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Ne serait-il pas moins banal de nous peindre l’intime et poignante souffrance de certaines âmes trop tard venues qui attendent qu’on leur donne enfin l’essor ? Il est dur de n’être en son pays qu’un misérable accessoire parce qu’on se refuse à déserter des traditions qui, elles aussi, comme le sol de la patrie, sont faites de la cendre des morts.
Quoi qu’on prétende, il y a des lois de survivance. J’en atteste le prodigieux succès de cette pièce qu’acclamaient naguère Paris et la province parce qu’elle réveillait tout ce que notre vieille veine française charrie encore de galanterie, de vaillance, de belle humeur sommeillantes.
Il semble que vous ne teniez pas en suffisante estime cette solidarité qui unit l’avenir au passé lorsque vous donnez, dans vos Deux Noblesses, l’argent pour idéal à ceux que vous prétendez rajeunir. La foule ne se presse-t-elle pas assez compacte, sans eux, autour des guichets suspects ?
Le petit-neveu de Costa de Beauregard porta aussi l’habit vert, c’était le duc de Castries. Evoquant son grand-oncle et cette réception tumultueuse, il écrivit que Lavedan dut entendre de pénibles vérités…