Les authentiques cinéphiles chavirés de bonheur à l’exhumation d’une bobine contemporaine du Front populaire. Car les années trente furent la grande décennie du comédien André Lefaur (1879-1952), qui avait choisi d’élaguer son patronyme de Lefaurichon, dont le talent et l’originalité ne méritent guère l’oubli où nous le laissons croupir.

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Partenaire à l’écran des plus grands, Jules Berry, Victor Boucher, Raimu ou Michel Simon, créateur au théâtre de Topaze de Marcel Pagnol (1928), il est un prodigieux général-prince russe Ouratieff dans Tovaritch de Jacques Deval (1935) et un inoubliable duc de Maulévrier dans L’Habit vert de Roger Richebé (1937, d’après la pièce de Flers et Caillavet).

Le portrait qu’en tracent Olivier Barrot et Raymond Chirat dans Noir et blanc, 250 acteurs du cinéma français, 1930-1960 (Flammarion, 2000) est si réjouissant que je ne résiste pas à lui emprunter ce qui suit :

Sa nonchalance apparente n’est que l’effet de son doigté. Sa finesse, sa verve, sa verdeur galvanisent le personnage anachronique du vieux beau. À tous ces marcheurs fatigués, à ces hobereaux aux confins du gâtisme, à ces diplomates sceptiques, il communique une vie fantasque, ignorante des poncifs, grâce à l’efficacité des gestes, à la malice des coups d’oeil et à l’ironie des inflexions.

(…)

Spirituel dans ses rôles, Lefaur le reste dans la vie. Il crible ses camarades de flèches et Louis Verneuil ou Fernand Rivers dans leurs souvenirs se font l’écho de ses rosseries. Si, par exemple, on lui demande, à propos de Biscot, comique attitré des films de Feuillade : « À votre avis, est-il drôle ? » – « Je ne sais pas, répond-il, je ne l’ai jamais vu qu’à la scène. » Lorsqu’une comédienne célèbre, mais d’un certain âge, reprend un rôle qu’elle a brillamment créé quinze ans auparavant et qui exige un jeu de scène rapide, Lefaur lève les yeux au ciel : « Elle croit qu’elle a toujours soixante ans ! » Et quand il voit jouer ensemble Marie Dubas et Boucot qui ne craignent pas d’appuyer leurs effets, il les surnomme « les chargeurs réunis ».

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Ses dernières années sont pénibles. La paralysie le gagne peu à peu alors qu’il espère toujours une amélioration de son état. Il essaye de se rassurer, invoque une gêne respiratoire qui lui vient de son père, ajoutant : « C’est d’ailleurs avec une calvitie précoce tout ce que j’ai trouvé dans sa succession. »
En dépit de cette absence de cheveux et en raison peut-être d’une moumoute impeccable, il s’estime irrésistible, s’emploie à faire chavirer les coeurs, sans abandonner une once de cet humour mordant qui, dans ses films, lui fait prendre un temps avant de placer sa réplique, l’oeil mi-clos, un sourcil en accent circonflexe, mimant l’étonnement et ronronnant comme un gros chat.

Ce court extrait de L’Habit vert afin de goûter son ton et sa présence.

On ne peut, dès lors, être que contristé de découvrir l’état actuel de sa chapelle funéraire, au coeur de la 6è division du Père-Lachaise, celle-là même où repose, à quelques mètres, Jim Morrison.

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