Au moment où est annoncée la mort de Johnny Hallyday et alors qu’il est encore trop tôt pour savoir où sera sa dernière demeure, cette tombe, banale, perdue dans un cimetière de la périphérie bruxelloise, celui de Schaerbeek : celle de son père, Léon Smet (1908-1989).

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Du livre Johnny raconte Hallyday (Éditions n°1 Filipacchi, 1979), j’extrais ces lignes :

Mon père, Léon Smet, est belge. C’est un homme qui a vécu sur les planches depuis l’âge de quatorze ans. II a été danseur dans la troupe du ballet du Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles. II a appris le chant et l’art dramatique. II a tenu des rôles classiques, a aussi joué la comédie, notamment en France, sous le pseudonyme de « Jean Michel », et s’est taillé une excellente renommée. Jean- Louis Barrault et Jean Cocteau l’ont complimenté. De tempérament «artiste» dans ses moindres fibres, c’est un homme brillant, fantasque, versatile, partagé entre des enthousiasmes délirants et des «déprimes» incontrôlables. A Bruxelles, il a monté une école d’art dramatique assez réputée.
Un de ses anciens élèves devenu célèbre, Serge Reggiani, m’a assuré récemment que lui-même et quelques- uns de ses camarades n’hésitaient pas, naguère, à faire fréquemment le voyage de Paris à Bruxelles pour aller assister aux cours de mon père. Plus tard, Léon Smet était devenu, toujours en Belgique, réalisateur de télévision. Mais, fuyant sans cesse à la recherche d’un «ailleurs», cet homme instable, «original» et, en outre, trop porté sur la boisson, déçoit. Il lui arrive d’oublier de se présenter à son travail, ou bien de se rendre sur le plateau dans un tel état que le tournage est impossible… il finit par se faire virer. II y a quelques années, j’ai tout de même essayé de faire l’effort de comprendre pourquoi cet homme, qui était tout ce qu’on voudra mais pas un monstre de méchanceté, avait quitté brutalement sa femme et son bébé de quelques semaines.

Alors, peu de temps après mon service militaire, je l’ai invité à déjeuner dans un grand restaurant parisien, chez Laurent, et nous avons bavardé. Je lui ai carrément demandé le pourquoi et le comment de la séparation. C’est une histoire courte mais énorme, c’est un gag digne d’un film burlesque, et pourtant je ne doute pas une seconde que ce soit la stricte vérité. Ma mère était alitée, sans doute encore mal remise de ma naissance, dans l’appartement du couple, rue Clauzel, je crois. Mon père est descendu, et s’est rendu, dans l’espoir d’y trouver quelques légumes, au marché de la rue Lepic. Chemin faisant, rue Fontaine, il a rencontré une ancienne fiancée. II s’est jeté dans ses bras et lui a dit : « Je pars avec toi ». Ce qu’il a fait aussitôt. Et il n’a plus jamais remis les pieds à la maison. Sans ressources et avec un nourrisson sur les bras, ma mère n’avait plus qu’une seule chose à faire pour subsister : travailler. Mais pour cela, il fallait bien que le bébé soit confié à quelqu’un.

C’est ainsi que je passai les premiers mois de ma vie à la campagne, avec de braves fermiers chez lesquels on m’avait mis en garde. Garde toute relative, comme on va le voir, puisque cette famille nourricière avait autre chose à faire que de surveiller le gosse vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un jour, les fermiers entreprirent de fabriquer eux-mêmes du savon ; n’oublions pas qu’à cette époque, les produits les plus ordinaires étaient introuvables. Pour fabriquer du savon, on prend tous les déchets graisseux qu’on a pu récupérer sur la carcasse d’une vache, on les fait fondre, puis bouillir après y avoir mélangé de la soude caustique.

La soude caustique a l’aspect de jolies paillettes, fines et transparentes. II en traînait çà et là. Je jouais par terre, me déplaçant à quatre pattes. Ce devait être bon, ces paillettes. J’en avalai une pincée. Brûlures atroces aux lèvres et à la langue. L’incident eut deux conséquences. La première est qu’après avoir guéri, on se demanda longtemps si j’arriverais jamais à pouvoir parler ; aujourd’hui encore, quand je suis très fatigué et ne contrôle pas bien mon articulation, cette atteinte à la langue laisse réapparaître un certain zézaiement. La deuxième est que je fus immédiatement rapatrié à Paris.

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La mère de Johnny Hallyday, Huguette Clerc (1920-2007) repose à Viviers, en Ardèche.

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