Né et mort un 25 juin, Georges Courteline (1858-1929) appartient donc à ce club singulier qui, de Raphaël à Dick Rivers ou de Léon Zitrone à Sidney Bechet en passant par Ozu et Loulou Nicollin, unit ceux à qui fut fatal le jour de leur anniversaire.
Ce fut une tradition longtemps respectée par ses amis et admirateurs de se réunir autour de sa tombe, en présence de sa veuve (qui mourut presque centenaire), dans la 89è division du Père-Lachaise.
Roland Dorgelès (inhumé lui aussi à Paris mais au cimetière Saint-Vincent), successeur de Courteline à l’Académie Goncourt, présida durant plus de trente ans cet hommage à son prédécesseur sauf en 1963 où, souffrant, il demanda au journaliste, écrivain et réalisateur André Gillois de le remplacer. Ce dernier, qui devait devenir le doyen de nos lettres et mourir en juin 2004 dans sa 103è année (et dont la tombe se trouve au cimetière de Passy), fut sans doute l’ultime survivant des amis de l’auteur des Gaietés de l’escadron, de Boubouroche ou du Train de 8 heures 47. Il s’acquitta de son devoir de fidélité envers celui qu’on surnommait « notre Molière de poche » en prononçant le petit discours que voici :
Nous voici réunis autour de Courteline. Il a cessé de vivre il y a trente-quatre ans et il n’a jamais été aussi vivant. Il rêvait de rajeunir et il n’a jamais été aussi jeune. Malheureusement il ne le sait pas. Ce sont ses amis qui jouissent de sa gloire, et c’est là sans doute le comble de l’injustice, cette injustice contre laquelle il n’a jamais cessé de s’indigner. Si l’on voulait le qualifier, on pourrait dire Courteline ou l’indignation. Toute sa force comique vient de cette colère impuissante. Mais au moins il a beaucoup ri lui-même avant de faire rire les autres. Et il se consolait du spectacle du monde, de la vanité des hommes, de leur égoïsme, de leur lâcheté, de leur sottise, de leur malhonnêteté et de leurs ridicules en répétant la devise qu’il avait choisie : « Je m’en fous. » Pour vous, qui avez été ses amis, je voudrais ajouter ceci : vous avez eu, nous avons eu la chance de le voir vivre. Rien ne nous enrichit plus que la fréquentation d’un homme exceptionnel. Cela nous console de la médiocrité des autres. Et surtout cela nous permet d’avoir la vague notion de ce qu’est l’éternité. Car les grands écrivains survivent à leur époque. Courteline appartient à une chaîne de survivants dont un chaînon s’appelle Molière et un autre Aristophane. Parler de lui, pouvoir dire « Je l’ai connu », mieux encore : « J’ai reçu son amitié », c’est la seule et modeste survie dont nous soyons sûrs.
On ne prend désormais plus la parole ni le 25 juin ni aucun autre jour devant la tombe de Courteline. Mais demeure sa stèle ornée de son médaillon ainsi que sa fameuse épitaphe :
J’étais né pour rester jeune et j’ai eu l’avantage de m’en apercevoir le jour où j’ai cessé de l’être.