Une femme exceptionnelle repose au cimetière parisien de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) : la chanteuse et comédienne Jenny Alpha (1910-2010).
Martiniquaise, de trois ans l’aînée d’Aimé Césaire, comédienne de formation devenue chanteuse, entre autres de jazz, dans les cabarets du Paris des années 30 faute de pouvoir réaliser son rêve d’incarner les héroïnes du théâtre classique (« On me répondait : vous voulez rire, vous ne voyez pas une femme noire dire du Corneille ou du Racine ? »), elle connut alors les grandes figures de l’époque, de Joséphine Baker à Duke Ellington.
Présente à la Sorbonne en 1956 au premier Congrès des écrivains et artistes noirs, auprès de Richard Wright, Aimé Césaire, Pablo Picasso ou Jean-Paul Sartre, elle aborda enfin les grands textes à partir de 1958 (Les Nègres, de Jean Genet) et s’imposa, jouant aussi bien Césaire (La Tragédie du roi Christophe) et Arthur Miller (Les Sorcières de Salem) que Sophocle (Oedipe à Colone), Shakespeare (Roméo et Juliette) ou Tchekhov (La Cerisaie, à 94 ans !).
On la vit aussi à la télévision dans des séries populaires telles Les Cinq Dernières Minutes ou Médecins de nuit ainsi qu’au cinéma, sous la direction de Jean Rouch (Folie ordinaire d’une fille), Peter Handke (L’Absence) ou Jean-Pierre Mocky (Noir comme le souvenir).
Conservant jusqu’à la fin toute son acuité intellectuelle, toujours élégante, vive, gaie et curieuse, jamais aigrie en dépit du manque de reconnaissance, elle demeure une des grandes figures de la créolitude.
Daniel Mesguich, qui la mit en scène, dit d’elle : « Si elle avait été blanche, elle aurait été une grande star. »
La voici, dans sa 100è année !, chantant la « Sérénade du muguet » et rencontrant Jean d’Ormesson.
Une plaque commémorative a été apposée sur la façade de l’immeuble où elle vécut de 1973 à sa mort, 39 rue de l’Abbé Groult, dans le XVè arrondissement de Paris.
Non loin, une place située avenue Félix-Faure porte désormais son nom.
Morte centenaire le 8 septembre 2010, Jenny Alpha est inhumée avec son mari, le poète Noël Villard (1904-1987) (et la mère de ce dernier, « brodeuse ») dans une tombe infiniment modeste et dont je déplore chaque fois de la voir si peu visitée.