Il y a cent ans, le 12 octobre 1924, mourait Anatole France.
Le prix Nobel de littérature (1921), qui succomba, tout juste octogénaire, dans son manoir de Touraine à une angine, souffrait depuis longtemps d’artériosclérose. Son agonie fut interminable. Les rares témoins l’entendirent murmurer C’est donc cela, mourir ? ou encore La mort, c’est bien long ! À son médecin qui refusait d’abréger sa fin, il lança en bougonnant Encore un préjugé ! et s’éteignit peu avant minuit.

Si Paul Painlevé, président de la Chambre des députés, déclara pompeusement Le niveau de l’intelligence humaine a baissé cette nuit-là., et si des obsèques, pas nationales, non, mais presque, lui furent accordées, la curée posthume ne tarda pas.

Le groupe surréaliste, André Breton en tête, publia contre l’écrivain national et couvert d’honneurs un pamphlet collectif d’une incroyable violence avec pour épigraphe Il ne faut plus que mort cet homme fasse de la poussière. On y relevait, entre autres amabilités, Il écrivait bien mal, je vous jure, l’homme de l’ironie et du bon sens, le piètre escompteur de la peur du ridicule. mais aussi l’épitaphe célèbre signée Aragon Avez-vous déjà giflé un mort ?

À l’Académie française, son successeur Paul Valéry, pour venger la mémoire de Mallarmé qu’Anatole France avait combattu, réussit dans son remerciement à ne pas citer une seule fois son nom en usant de toutes les périphrases imaginables.
Plus étonnant encore, l’auteur de La Jeune Parque et du Cimetière marin répandit dans les salons qu’Anatole France, qui se rendait régulièrement dans sa propriété campagnarde en chemin de fer, avait enflammé les sens d’un chef de gare et que ce dernier, lorsque le train quasi vide arrivait en pleine nuit, refusait de laisser repartir le convoi si le grantécrivain ne cédait pas à ses avances. Et Paul Valéry de décrire en riant et avec moult détails la scène, dans la gare déserte, du célèbre romancier se laissant caresser la barbe et susurrer des mots doux par le cheminot énamouré.

On enterra Anatole France, non à Saint-Cyr-sur-Loire où il mourut (il craignait – déjà ! – que le cimetière ne fût régulièrement inondé en raison des crues du fleuve) mais dans le caveau familial du cimetière ancien de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
L’état du monument atteste combien l’auteur des Dieux ont soif n’est pas près de quitter son purgatoire.

 

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