En s’emparant de lui ce 29 juin 1972, il y a tout juste quarante ans, la mort fit une belle prise. Boby Lapointe venait de boucler sa cinquantième année et à peine plus de chansons. Quand on se donne le plaisir de les réécouter, et de les lire ce qui ajoute au bonheur, on imagine de combien de chefs-d’œuvre nous a privés sa mort précoce.

Bonhomme unique, tout à la fois mathématicien (sa numération bibi fondée sur la calcul binaire était des plus sérieuses sous ses allures de calembour et avait séduit de doctes esprits comme Louis Leprince-Ringuet), scaphandrier, vendeur de layettes, surgi bouche et besace remplies d’audaces syntaxiques sur les scènes de music-hall, il demeure inégalé. Chez lui, il est question de glaces au citron, d’un bourreau sentimental, de fleur bleue contondante ou de saucisson de cheval, et tout y relève d’une implacable logique.
Dans le film de Truffaut, Tirez sur le pianiste, il interprète Framboise, titre relativement abordable pour le néophyte (Et malgré ses yeux de braise / Ça ne me mettait pas à l’aise / De la savoir Antibaise / Moi qui serais plutôt pour ! ou encore Permets donc que je lutine / Cette poitrine angevine / Mais elle m’a échappé / A pris du champ dans le pré / Et je n’ai pas couru après / Je ne voulais pas attraper / Une Angevine de poitrine !). Or, les producteurs exigèrent des sous-titres donnant ainsi naissance au mythe du chanteur français… sous-titré en français !
(François Truffaut repose au cimetière Montmartre et Louis Leprince-Ringuet à Courcelles-Frémoy, en Côte-d’Or).

Le génial Boby, dont les vieux habitants du 20è arrondissement de Paris se souviennent avoir vu souvent le fourgon Peugeot J7 garé aux abords du Père-Lachaise, s’éclipsa à la veille d’un départ en vacances. Au cimetière de Pézenas (car il était piscénois), où son fils Jacky l’a rejoint en 2008, tout juste plus vieux (régisseur de cinéma, il y avait un créé un « Printival » Boby Lapointe et était apprécié de tout le métier de la chanson), un hélicon orne sa tombe, cadeau de son ami Élie (celui qui n’est pas très intelligent) avec, en guise de dernier refrain : Pon, pon, pon, pon.
À une époque où il est devenu si facile d’écouter où et quand on le désire n’importe quel morceau de musique, inscrivons-le sur nos listes favorites et goûtons chacune de ses syllabes en esthètes. Et si, d’aventure, nous exhumons quelque antique musicassette rescapée des années 60 ou 70 où sa voix fut gravée, un seul mot d’ordre : rem-Boby-nons !

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