Chateaubriand s’éteignit à près de quatre-vingts ans, le 4 juillet 1848. Pour lui, nulle nécropole mais une tombe solitaire et grandiose sur le rocher du Grand-Bé, à Saint-Malo.

En s’exilant sur un îlot inaccessible à marée haute, il confirmait ce que Balzac faisait dire, quelque temps plus tôt, à l’un de ses personnages furieux d’arriver au Père-Lachaise à l’heure de la fermeture et d’en être refoulé par le portier : Les morts ont un concierge et il y a des heures auxquelles les morts ne sont pas visibles. Pour faire ses dévotions au Vicomte, se renseigner d’abord sur le coefficient du jour avant de traverser l’estran.

Point de promiscuité vulgaire en pareil environnement que pourraient lui envier les locataires (dont Surcouf, le ministre Guy La Chambre ou encore Daniel Gélin) du bien triste cimetière malouin Rocabey. En revanche, donc, pas de gardien non plus, hormis les oiseaux marins. Et c’est ainsi que Jean-Paul Sartre, en miction commandée ?, se serait soulagé de quelques gouttes sur la tombe glorieuse (du moins Simone de Beauvoir rapporta-t-elle avoir été témoin de la scène) sans être inquiété. La première vaguelette balaya l’affront. Les mânes de François-René se vengent quand les touristes de passage à Montparnasse abandonnent leur ticket de métro usagé, et ils sont plus nombreux qu’on ne croit à sacrifier à ce rite étrange, sur la dalle conjointe du « Castor » et de l' »Agité du bocal ».

Saint-Malo, qui me met toujours dans l’embarras. À qui consacrer les quelques heures qu’il m’est donné d’y vivre ? Aux arbres séculaires du cimetière Jeanne-Jugan, au cadre si romantique ? À l’extraordinaire panorama sur l’estuaire de la Rance qu’offre le cimetière du Rosais ? Aux humbles champs de repos des communes environnantes qui semblent tous valoir un arrêt ? Puis, le Grand-Bé emportant tout avec la force de l’évidence, où le vent, chargé d’esprit, entraîne loin et haut, mais aussi en avant, même du côté de Proust, quand reviennent ces extraits des Mémoires d’Outre-Tombe : En cherchant à rouvrir aujourd’hui par ma mémoire l’horizon qui s’est fermé, je ne trouve plus le même, mais j’en rencontre d’autres. Je m’égare dans mes pensées évanouies ; les illusions sur lesquelles je tombe sont peut-être autant belles que les premières ; seulement elles ne sont plus si jeunes ; ce que je voyais dans la splendeur du midi, je l’aperçois à la lueur du couchant.

L’épitaphe, enfin, fameuse :

Un grand écrivain français
a voulu reposer ici
pour n’entendre que la mer et le vent.
Passant,
respecte sa dernière volonté.

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