Dirigeons-nous aujourd’hui vers un des plus fascinants cimetières du monde, chargé de fantômes et de musiques, le Zentralfriedhof de Vienne (Autriche) aux allées larges comme des avenues, aux 250 hectares (!) emplis de trésors et de surprises, dépositaires de la mémoire d’une ville qui entretient avec la mort un rapport ô combien singulier, et cela même avant la naissance du docteur Freud.
C’est pour s’y rendre une petite expédition que de saisir le tram 71 (dans le parler viennois, « prendre le 71 » est devenu synonyme de fermer son parapluie, avaler son extrait de naissance, manger les pissenlits par la racine, passer l’arme à gauche, boire le bouillon d’onze heures, perdre le goût du pain, bref, vous m’avez compris…), d’entrer peu à peu dans les faubourgs, de frôler le cimetière Saint-Marx (une pensée pour Mozart au passage qu’on y mena à un emplacement désormais incertain), d’atteindre les premiers étals de fleurs et les vitrines des marbriers (inutile de consulter le plan de la ligne, ces indices-là indiquent mieux que d’autres que l’on arrive à destination), de descendre près de l’entrée n° 2 afin de gagner du temps pour parvenir au Walhalla des mélomanes, le mythique, l’insurpassable « Gruppe 32 A » où sont alignés Beethoven, Schubert, Brahms, Johann Strauss, Suppé et où Mozart, encore, se révèle impalpable sous la forme d’un cénotaphe.
Près d’eux, mais en retrait, le gratin de la société viennoise et deux femmes vers qui mon esprit se tourne ce soir car elles moururent chacune un 26 août, la cantatrice Lotte Lehmann (1888-1976) et la comédienne Rosa Albach-Retty (1874-1980) qui atteignit sa cent-sixième année !, et dont la petite-fille suivit le même chemin artistique sous le nom de Romy Schneider.
Dans le périmètre immédiat, voici Ernst Krenek (1900-1991), né un 23 août, compositeur et pédagogue admiré de Glenn Gould, et son confrère Robert Stolz (né le 25 août 1880, mort en 1975) dont les opérettes et les musiques de films (C’est arrivé demain de René Clair) demeurent si populaires dans l’inconscient autrichien.
Cette nécropole dont on pense ne jamais avoir fini de faire le tour, trois millions d’âmes au bas mot, renferme de quoi nourrir pendant toute son existence un esprit qui croit à la transmission des émotions, à la force de l’art, à l’invincible puissance de la verticale des siècles. Nous ne manquerons pas, du moins je le souhaite, d’y retourner.
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