Il y a plus de vingt ans, je guidais un groupe de visiteurs au Père-Lachaise et, avant d’entrer dans le chemin Denon (je parle d’une époque où n’existaient pas encore les tombes d’Arman, de Claude Chabrol ni de Mano Solo), annonçais qu’avant d’y saluer Chopin, un immense scientifique, inventeur de la télégraphie sans fil, nous y attendait.
Devant la tombe d’Édouard Branly (c’était de lui, bien sûr, qu’il s’agissait), une dame se recueillait. Elle possédait à l’évidence une distinction qui ne s’apprend pas. Après ma demande, elle m’autorisa, sans me dire qui elle était, à prendre la parole un instant sur place puis, avec un très gentil sourire, me demanda « Voulez-vous en savoir un peu plus sur mon grand-père ? »
C’est ainsi que je fis la connaissance de Marion Tournon-Branly.

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Cette rencontre fut suivie de beaucoup d’autres, devant le tombeau de famille érigée par son père, l’architecte Paul Tournon (1881-1964), époux d’Élisabeth Branly (1889-1972), fille du célèbre savant et elle-même artiste-peintre. De cette union étaient nées deux filles, Florence Tournon-Branly (1923-1982), peintre comme sa mère mais aussi auteur de vitraux, et Marion.

Cette dernière suivit la même voie que son père, devint architecte en 1948 et travailla au côté d’Auguste Perret. Elle fut la première femme admise à l’Académie d’Architecture.

On lui doit, entre autres, la construction des bâtiments conventuels de l’abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur-Loire (Loiret) ou la transformation d’une ancienne grange dîmière en nouvelle église abbatiale pour les moines de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). Elle fut aussi une grande pédagogue (dimanche dernier, une de ses anciennes élèves participait à la promenade que je menais; elle nous confia combien elle défendait les étudiantes qui s’aventuraient dans cet univers très masculin).

Chaque année, le dimanche des Rameaux, je la retrouvais l’après-midi, fidèle à son devoir filial, et, j’ose l’écrire, une forme de complicité s’était établie entre nous, elle me sachant gré de ne pas oublier la figure de son père ni d’évoquer son grand-père en soulignant la précarité dans laquelle il travaillait ainsi que l’importance de son cohéreur, moi chaque fois ému de l’entendre parler d’un homme avec qui elle avait vécu jusqu’à l’âge de quinze ans, et né, date vertigineuse, en 1844, dont elle était la dernière à pouvoir évoquer l’intimité.
J’avais remarqué, cette année, son absence.

Marion Tournon-Branly est décédée le dimanche 15 mai à 91 ans et a rejoint les siens, 10è division, chemin Denon.

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Remarquons sur cette émouvante photo (datant des années 30), en compagnie du patriarche, que sa mère et sa soeur (les deux peintres de la famille) regardent l’objectif tandis qu’elle et son père (les deux architectes) fixent un autre et même horizon.

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