Je vous racontais il y a quelques semaines la peine que j’avais eue à dénicher la tombe du peintre Hokusai, à Tokyo.
Une autre de mes quêtes japonaises se révéla plus longue que je ne croyais, celle de la sépulture du cinéaste Ozu.

De la projection au lycée de son Voyage à Tokyo sur un minuscule écran de télévision m’était restée une impression d’austérité et de lenteur sans que j’y aie décelé la limpidité. Du danger d’être confronté trop jeune à certains chefs-d’oeuvre.
J’ai depuis révisé mon jugement et tenais absolument à ce pèlerinage sur cette tombe à l’épitaphe célébrissime.

Pour repères biographiques, ces lignes signées Claude Beylie (Les Films clés du cinéma, Larousse, 1997) :
Cinéaste de la contemplation souriante, Ozu pratique un « art minimal » dont l’apparente sécheresse sécrète une émotion profonde. (…) Plus encore que ses compatriotes Kurosawa et Mizoguchi, Yasujiro Ozu (1903-1963) a été découvert tardivement en Occident. Il fallut l’obstination de la critique anglo-saxonne pour que fût enfin révélée au public l’oeuvre de ce créateur discret, à l’inspiration résolument traditionaliste, au style d’un statisme déconcertant, que ses pairs considéraient comme « le plus japonais des cinéastes japonais ». Son existence est à elle seule un modèle d’équilibre : vivant en ascète auprès de sa mère, il ne se maria jamais et mourut le jour même de ses soixante ans, un 12 décembre.

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La bande-annonce de Voyage à Tokyo condense cette ambition esthétique qui faisait dire à Ozu : Les films d’intrigues trop élaborés m’ennuient. Naturellement, un film doit avoir une structure propre, autrement ce ne serait pas un film, mais je crois pour qu’il soit bon, il faut renoncer à l’excès de drame et à l’excès d’action. (cité par Jean Tulard, Dictionnaire du cinéma, les réalisateurs, Robert Laffont, « Bouquins », 1997).

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Pour le visiter, il faut d’abord se rendre dans la ville de Kamakura, à cinquante kilomètres de la capitale, au bord du Pacifique, et descendre du train un arrêt avant la gare centrale. Ensuite, trouver, parmi beaucoup d’autres, le temple Engaku-ji qui cache sous ce nom un assez vaste domaine aménagé dans un cadre naturel somptueux et très prisé des touristes (entrée payante), beaucoup plus attirés par les différents lieux de culte que par la tombe du cinéaste. À son sujet, aucune information en langue occidentale.
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Un chemin bitumé fait le tour du sanctuaire et permet d’accéder à trois petits cimetières, tous escarpés, situés l’un à gauche, l’autre à droite, le dernier tout en haut. J’ai arpenté les trois, tombe à tombe, et n’y ai croisé absolument personne tandis que la foule se pressait aux portes des différents monastères. C’est vers celui de droite, par lequel j’ai fini, qu’il faut se diriger (même si celui du fond est le plus émouvant ce que j’espère vous faire partager dans un prochain article).

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Au bord de la forêt, plusieurs terrasses où aucun mètre carré n’est gâché et des alignements de tombes qu’un oeil profane trouve assez ressemblantes. Celle d’Ozu, située au sommet, est quasiment la dernière devant laquelle je suis passé, repérable à ses nombreuses offrandes prouvant que ses compatriotes au moins y viennent encore souvent : outre les fleurs et les planches de bois traditionnelles posées à l’arrière des tombes japonaises, beaucoup de pièces de monnaie et surtout des canettes de bière ainsi que des bouteilles d’alcool célébrant le réalisateur (ce fut son dernier film, en 1962), du Goût du saké.

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Et, surtout, surtout, le fameux kanji (caractère de l’écriture japonaise) gravé et que la langue française est incapable de traduire avec précision (selon les traductions, on lit souvent « rien » ou « vide », parfois « néant ») mais qui correspond tant à celui dont Gilles Deleuze disait que pour lui, un espace vide vaut avant tout par l’absence d’un contenu possible.

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