Ce 17 décembre 2025 marque le centenaire de la naissance d’Alphonse Boudard.

C’est un poncif de dire d’une vie qu’elle est un roman mais en l’occurrence…
Père inconnu, mère prostituée, élevé dans le Paris ouvrier par sa grand-mère, la Résistance au sortir d’une adolescence qui l’avait vu devenir typographe, la libération de Paris avec les FFI, les combats au côté du colonel Fabien, la campagne d’Alsace avec de Lattre, la Croix de guerre, et puis dix-huit années (1944-1962) bancroches entre prison pour cambriolages (il reconnaissait avoir des doigts de fée quand il s’agissait d’ouvrir les coffres-forts) et sanatorium pour tuberculose, telle fut la première moitié de son existence (1925-1962).
La seconde (1962-2000) fut celle de la rédemption par l’écriture dans le sillage de Céline, de Paraz et des grands argotiers. Il avait de quoi raconter en convoquant ses souvenirs. On voudrait tout citer et il faut tout lire de Boudard, depuis La Métamorphose des cloportes jusqu’aux Trois mamans du petit Jésus en passant par La Cerise, L’Hôpital, Le Corbillard de Jules, Les Combattants du petit bonheur (prix Renaudot 1977), le sublime Mourir d’enfance (Grand prix du roman de l’Académie française 1995) où il raconte « De nos jours la moitié des mères sont célibataires. On n’y attache plus grande importance. Pour bien me suivre il faut se replonger plus d’un demi-siècle en arrière. Un enfant sans père, sans nom, c’était celui par qui le scandale arrive. » et l’hilarant Méthode à Mimile (en collaboration avec le très sérieux Luc Étienne), pastiche de la Méthode Assimil pour apprendre à jaspiner comme un vrai gazier de Ménilmuche.

Écoutez-le parler à Thierry Ardisson, tout sonne vrai, les mots, les expressions, le ton, le style.
Un ami commun nous avait présentés et le moins que je puisse dire est qu’il m’a fallu longtemps pour le voir quitter sa réserve et m’accorder un tout petit peu sa confiance. Quelques années après notre première rencontre, un déjeuner en terrasse avec ses copains niçois (Raoul Mille, Louis Nucéra, Didier van Cauwelaert) nous rapprocha avant ce jour de juin 1998 que nous passâmes tous les deux entre Montmorillon et Paris (au retour du Salon du livre organisé dans son fief par Régine Deforges et que nous devions quitter plus tôt que les autres), où je l’ai écouté tout l’après-midi, émerveillé, me parler de la capitale, de Belleville, des différents types d’antisémitisme à la Belle Époque, de l’origine pittoresque de certains noms de rues… Il me posa aussi beaucoup de questions sur le Père-Lachaise, éclatant de rire en apprenant certains voisinages, me laissant le souvenir d’un homme aussi charmant que modeste.
Dix-huit mois plus tard, en janvier 2000, il fut retrouvé mort chez lui, à Nice, victime d’une crise cardiaque. Au moins n’aura-t-il pas vu, peu après, le cher Louis Nucéra se faire tuer à Carros par un chauffard.
On l’enterra à Paris, au cimetière Montparnasse. Bien qu’en bordure d’allée (18è division), sa tombe ne reçoit pas autant de visites qu’elle le devrait.

