Aujourd’hui, pour le 40è anniversaire de sa mort, honneur à un incontournable de ma discothèque personnelle, grand malchanceux, pourtant ciseleur de couplets, orfèvre en refrains, trousseur de mélodies impeccables, interprète épatant, à la fois drôle, tendre, généreux et engagé, bref, un chanteur si rare qu’on ne le laisse pas passer : Jacques Debronckart (1934-1983).
Évoquer les débuts de Debronckart, c’est d’abord tenter de ressusciter le Paris disparu de la chanson Rive Gauche, quand les présidents s’appelaient Vincent Auriol, René Coty ou Charles de Gaulle, que les rues étaient striées d’Aronde et de Juvaquatre, et qu’un public en quête de textes subtils se pressait à L’Écluse, quai des Grands-Augustins, à Bobino, rue de la Gaîté, ou au Port du Salut, rue des Fossés-Saint-Jacques.
Autant de lieux fréquentés par cet auteur-compositeur apparu sur scène en 1953 au côté de Jacky Scala, avant d’accompagner au piano Boby Lapointe, Maurice Fanon ou Pia Colombo. Univers où les carrières se construisaient avec patience, comme en témoigne celle de Barbara qui écuma si longtemps les cabarets (et dont se souvint Nicolas Peyrac en 1975 dans Et mon père : Tu mettais des semain’s et des semain’s / Parfois des années / Si t’avais pas de trip’s / Ta boutiqu’ / Tu pouvais la fermer).
Debronckart n’échappa pas à la règle. Après avoir écrit pour les autres, telles Isabelle Aubret ou Gribouille (il offrit aussi aux Frères Jacques en 1964 une perle de leur répertoire : Les Barbouzes), il dut attendre 1965 pour enregistrer un premier 45 tours, aussitôt salué, Adélaïde.
Suivent ses meilleures années, premier 33 tours en 1967, une salle pleine à Bobino en 1970 (J’suis heureux lui vaut d’être désigné comme fils spirituel de Jacques Brel) et des titres aussi variés que Mutins de 1917 (censuré en 1917), Mon Cher Député (merveille qui attend encore en 2023 de connaître sa première ride) ou Je suis comédien (une des plus belles et plus poignantes chansons sur le métier avec Je m’voyais déjà de Charles Aznavour).
Mais il était écrit qu’il demeurerait du côté des guignards. Radios et télévisions, faisant la part belle aux ritournelles sans danger, passèrent ensuite avec soin à côté de ses deux ultimes albums (1976 et 1982) tandis que son public lui demeurait fidèle (passage à l’Olympia en 1981).
Il mourut au même âge que Brel, 49 ans, lui aussi d’un cancer, le 25 mars 1983. Quelques lignes dans les meilleurs journaux, guère plus.
Son répertoire, lui, poursuit sa route désormais à travers d’autres voix, notamment celle de Christian Camerlynck.
Dans le 17è arrondissement de Paris, je ne me rends jamais au cimetière des Batignolles sans m’arrêter devant sa tombe, triste dalle à l’intérieur de la 25è division.
Une plaque y rappelle ce qu’il avait écrit :
Si j’avais su, bien sûr, si l’on savait,
On regarderait les gens de plus près,
Quand tombe le rideau, quand part le train,
Y’a plus moyen.