Parmi les regrets que je nourris, celui d’être né trop tard pour entrer au club des Hydropathes ou au Chat Noir entendre, aux alentours de 1880, Maurice ROLLINAT (1846-1903) qui, paraît-il, déchaînait l’enthousiasme en disant ses textes tout en s’accompagnant au piano, livide et possédé.
On dit que certains spectateurs s’évanouissaient lorsqu’il entonnait, par exemple, Le Néant :
Qu’en dites-vous à la surface
Du mirage humain qui s’efface
Et du néant qui vous confond
Par votre propre face-à-face ?
Avec une lenteur vivace
Le sang pâlit, la moelle fond
Et la vanité se crevasse,
Qu’en dites-vous ?
La vie, enterreuse rapace,
Vous aspire comme un siphon ;
Elle vous vide au plus profond,
Et vous laisse une carapace
Que le Temps souffle dans l’espace…
Qu’en dites-vous ?
Fabuleux rimeur, nourri d’inspirations funèbres et maléfiques (si Verlaine le qualifiait de « sous-Baudelaire », Barbey d’Aurevilly estimait que Baudelaire était un « diable en velours » et Rollinat un « diable en acier »), il connut son plus grand succès avec la publication des Névroses en 1883.
Oeuvre désormais traduite :
L’heure de gloire passée, il se retira dans la Creuse où il écrivit plusieurs recueils dont L’Abîme (1886) où s’exprime son renoncement à toute espérance.
Malade, accablé de malheurs (sa compagne mourut de la rage), oublié, dépressif, il s’éteignit à l’hôpital d’Ivry le 26 octobre 1903, âgé de cinquante-six ans.
Il repose à Châteauroux, au cimetière Saint-Denis, auprès de son père qui avait été député à l’Assemblée nationale constituante de 1848.
Une petite dernière afin de bien attaquer la semaine ?
Va pour son ensorcelante Villanelle du Diable, dédiée à Théodore de Banville :
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Ricaneur au timbre clair,
Le Diable rôde et circule.
Il guette, avance ou recule
En zigzags, comme l’éclair ;
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Dans le bouge et la cellule,
Dans les caves et dans l’air
Le Diable rôde et circule.
Il se fait fleur, libellule,
Femme, chat noir, serpent vert ;
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Puis, la moustache en virgule,
Parfumé de vétiver,
Le Diable rôde et circule.
Partout où l’homme pullule,
Sans cesse, été comme hiver,
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
De l’alcôve au vestibule
Et sur les chemins de fer
Le Diable rôde et circule.
C’est le Monsieur noctambule
Qui s’en va, l’oeil grand ouvert.
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Là, flottant comme une bulle,
Ici, rampant comme un ver,
Le Diable rôde et circule.
Il est grand seigneur, crapule,
Écolier ou magister.
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
En toute âme il inocule
Son chuchotement amer :
Le Diable rôde et circule.
Il promet, traite et stipule
D’un ton doucereux et fier,
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Et se moquant sans scrupule
De l’infortuné qu’il perd,
Le Diable rôde et circule.
Il rend le bien ridicule
Et le vieillard inexpert.
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Chez le prêtre et l’incrédule
Dont il veut l’âme et la chair,
Le Diable rôde et circule.
Gare à celui qu’il adule
Et qu’il appelle « mon cher »
L’Enfer brûle, brûle, brûle.
Ami de la tarentule,
De l’ombre et du chiffre impair,
Le Diable rôde et circule.
Minuit sonne à ma pendule :
Si j’allais voir Lucifer ?…
L’Enfer brûle, brûle, brûle ;
Le Diable rôde et circule !