Loin des polémiques concernant sa turbulente rejetonne, j’ai lu il y a peu Je vis pas ma vie, je la rêve, passionnant récit (coécrit avec Valérie Lehoux, Fayard, 2015) où Jacques Higelin (1940-2018) raconte à la manière d’un voyage ses aventures en liberté, depuis ses peurs d’enfant lors des bombardements alliés de 1944 visant la gare de triage de Vaires-sur-Marne jusqu’au succès populaire (qui mit du temps à venir), de ses concerts de trois heures et demi où il était incapable de quitter son public (raison pour laquelle, professionnellement, je ne me suis jamais senti loin de lui) à ses rencontres inattendues en passant par les enfants (les siens et les autres), le théâtre, l’Algérie, la drogue, et aussi… les cimetières.
Ainsi, partant des années après à la recherche de la tombe de ses grands-parents (avec qui il avait grandi) dans un village de la Somme :
Nous n’avions pas les moyens d’acheter des pierres tombales.
Mes grands-parents ont été enterrés à même la terre. Des fleurs autour de la sépulture, une croix en bois dessus.
Je n’ai pas retrouvé l’endroit mais ce n’est pas important : l’âme des morts est ailleurs.
En 1979, Champagne (savourez cette version de 1982, en plan-séquence) le propulsait en haut du hit parade avec des paroles sans équivoque :
Valets volages et vulgaires,
Ouvrez mon sarcophage,
Et vous, pages pervers,
Courez au cimetière,
Prévenez de ma part
Mes amis nécrophages
Que ce soir, nous sommes attendus dans les marécages…
Inspiration née, qui sait, à l’époque où il vivait en communauté dans un vieux presbytère, du côté de Soissons :
À côté d’une vieille église et d’un cimetière abandonné, dont des pierres tombales avaient été déplacées… Une nuit que j’étais seul, j’ai entendu des craquements. J’ai commencé à avoir peur. À deux doigts de me cacher sous les draps. Cette idée ne me plaisait pas, j’ai préféré me lever. Je suis descendu dans le noir et une fois dans la cour, j’ai décrété que s’il y avait des fantômes, je voulais les voir.
Je me suis tout nu et j’ai chanté, et dansé en tapant du pied sur le sol. Comme les Indiens. Ça me débarrassait de ma peur. Je les appelais : « Bon ben alors quoi, vas-y ! Viens, si t’es un fantôme. Viens et montre-toi. » Je n’ai vu personne.
Au fond, peut-être que c’est moi qui leur ai fait peur.
En mars 2015, à l’enterrement de Colette Crolla, la veuve du guitariste Henri Crolla (1920-1960) qui compta tant dans la vie d’Higelin (Je rencontrais un ami authentique, le premier qui me respectait vraiment. Un homme qui m’aimait comme un père. Avec lui, la vie devenait soudain plus légère, très joyeuse. On riait. On écoutait du jazz. Et tous les jours, on jouait de la guitare, il me montrait des accords.), il raconte avoir longtemps parlé avec le fossoyeur et songé à sa propre fin :
En regardant le trou, je me suis posé la question :
« Alors, Jacquot, quand ce sera ton tour, tu voudras quoi : te faire enterrer ou bien incinérer ? » Finalement, la terre, c’est paisible. Mais alors, j’aimerais que ce soit dans un joli cimetière, pas envahi par les passants. Un cimetière de campagne, peut-être… En tout cas, un lieu paisible, sans le bruit des moteurs. Le bruit, c’est insupportable pour ceux qui viennent te rendre visite. Je voudrais quelque chose de calme et de serein. Je ne suis pas pressé, mais j’y pense, souvent.
Oui, il faudra que je trouve un bel endroit.
Sans remettre en question l’incontestable beauté du Père-Lachaise où il fut conduit le 12 avril 2018 (quelles obsèques ! Le faire-part précisant Le public sera le bienvenu, nous étions des milliers sous la pluie à l’accompagner en musique), reconnaissons qu’il ne correspond pas à l’image qu’on peut se faire du paisible cimetière de campagne où les passants sont rares…
Là, tout proche de Bashung, celui qui affirmait avoir pour devise La vie est dure, manquerait plus qu’elle soit molle repose sous un ensemble de galets et de coquillages imaginé par ses enfants.
Repose ou plutôt se repose si l’on en croit les paroles de Je suis mort qui, qui dit mieux (1971) (ici, une de ses dernières interprétations, en 2013) :
Cela dit dans c’putain d’cimetière
J’ai perdu mon humeur morose
Jamais plus personne ne vient
M’emmerder quand je me repose
À faire l’amour avec la terre
J’ai enfanté des p’tits vers blancs
Qui me nettoient, qui me digèrent
Qui font leur nid au creux d’mes dents.
Arrêtez-moi si je déconne
Arrêtez-moi ou passez m’voir
Sans violettes, sans pleurs ni couronnes
Venez perdre un moment d’cafard
J’vous f’rai visiter des cousins
Morts à la guerre ou morts de rien
Esprits qui vous clignent de l’oeil
Les bras tendus hors du cercueil