Ce n’est pas parce qu’il commit un livre sur un cimetière (Promenade philosophique au cimetière du Père-Lachaise, Librairie Ponthieu, 1824, réédité en 1855) que le sieur Guillaume Viennet mérite notre indulgence. Peu d’hommes auront été aussi fielleux que lui, et surtout si longtemps puisqu’il s’éteignit dans sa quatre-vingt-onzième année (1868) et ne posa sa plume que pour mourir !
Voici, à titre d’exemple, comment il évoqua dans son Journal (Journal de Viennet, Pair de France, témoin de trois règnes, Amiot-Dumont, 1955) le souvenir de Stendhal, mort quelques semaines plus tôt :

… un aventurier qui s’était fait une espèce de réputation à force d’intrigue et d’impudence. Cet individu, qui vient d’en finir avec la vie, se nommait Beyle sans avoir rien de commun avec le célèbre critique. Jeté sur le pavé de Paris avec un esprit fort équivoque et sans un écu dans sa poche, il a flairé le vent du jour et s’est donné tête et plume au comité directeur du romantisme, à ce cénacle d’hommes d’esprit qui prétendaient à toute force nous gratifier d’une littérature nouvelle. (…)
Il finit par faire des livres; celui qu’il intitula La Chartreuse de Parme lui fit une sorte de réputation dans le monde assez nombreux des médiocrités de la littérature contemporaine. Il me fit l’honneur de parler une fois de moi et d’écrire que je n’avais pas assez d’intelligence pour comprendre la révolution littéraire qui se faisait autour de ma petite personne. J’en ai eu assez pour prédire qu’elle n’irait pas loin et que le romantisme aurait la destinée de l’arianisme, qui s’est transformé une vingtaine de fois sans se fixer dans une doctrine invariable. Le Stendhal n’aura pas plus d’avenir que n’en aurait eu le nouveau Beyle, malgré l’admiration de la plèbe romantique, qui est l’espèce la plus crédule et la plus bête de toutes les cliques littéraires et dramatiques. (…) Une attaque d’apoplexie nous en a délivrés le 24 mars.

Si je cite aujourd’hui ce méchant homme, c’est parce qu’il se maria il y a exactement cent-quatre-vingt-dix ans. Et que le lendemain, à la date du 12 juin 1822, il consigna dans son Journal ses sentiments et ses motivations:

J’ai accompli hier l’acte le plus important de ma vie. À l’âge de quarante-quatre ans, j’ai confié mon bonheur à une femme, malgré les protestations contraires que j’avais souvent énoncées. J’ai eu longtemps une grande répugnance pour le mariage; mais, éloigné de ma famille, j’ai frémi de l’isolement qui menaçait ma vieillesse. Toutes les convenances se sont réunies à l’inclination pour m’y déterminer. Toutes les apparences de bonheur me sont offertes. Ma femme a les plus solides et les plus excellentes qualités. Elle était veuve, et, dans un premier engagement, elle a fait preuve de vertu.

Viennet et son épouse vertueuse reposent, oubliés, au Père-Lachaise (54è division) entre la chapelle du duc de Morny et le tombeau d’Auguste Maquet, précieux collaborateur d’Alexandre Dumas. Je n’ai jamais vu de fleurs sur leur pierre qu’aucun promeneur ne m’a jamais demandé de lui montrer. Au cimetière Montmartre, Stendhal qui avait noté en marge d’un manuscrit Toute ma vie j’ai désiré être lu par fort peu de personnes, trente ou quarante. Je me réjouis de ma mauvaise écriture qui dégoûtera les sots et me tiendra lieu de chiffre ne manque pas de visites.

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