Longtemps, on ne sut pas où il reposait. Chacun s’était persuadé qu’il serait à jamais impalpable, pareil à son ami Pergaud disparu dans les marais de la Woëvre, quelques mois après lui. Lui, c’était le lieutenant Henri Fournier, à jamais Alain-Fournier (1886-1914), l’auteur du Grand Meaulnes, mort à la tête de sa compagnie le 22 septembre 1914, il y a tout juste un siècle.

Puis vint le jour de 1991 où son cadavre fut exhumé dans les bois de Saint-Remy-la-Calonne (Meuse) par des passionnés d’histoire militaire. On l’identifia formellement. Il reçut sépulture là-bas, au côté de ses camarades, sous une croix semblable à trop d’autres.
Une fois n’est pas coutume, exception due à un homme exceptionnel, ne parlons pas de sa tombe mais de l’endroit du monde qu’il a transfiguré au point de lui être à jamais consubstantiel : le village d’Epineuil-le-Fleuriel (Cher) devenu Sainte-Agathe dans le roman, où se déroula son enfance et où son père faisait la classe. Tous ses lecteurs le savent, c’est là que son fantôme est le plus présent, autour de la vénérable église, derrière chaque pierre des maisons du bourg, dans la cour de l’école enfin, au préau si bas, et toutes les pièces de la bâtisse où rien, ou presque, n’a changé.
(Une pensée pour le merveilleux Henri Lullier, aujourd’hui décédé, instituteur à la retraite qui, assisté de son épouse, se dévoua durant des années à perpétuer le souvenir de l’écrivain ; j’avais eu le privilège d’une visite privée en sa compagnie pendant l’été 1986).

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Aucun pays n’est le mien, si ce n’est ce bourg où je suis allé en classe et au catéchisme.

On raconte dans le village qu’il y a encore quelques décennies, de jeunes garçons romantiques venaient exprès tenter de reconstituer l’itinéraire d’Augustin Meaulnes afin de retrouver le Domaine mystérieux où se tient la Fête étrange. Combien de livres ont cette puissance d’attraction ?

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Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l’extrémité du bourg : une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté ord, le route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs… tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures.

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Lorsqu’il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s’illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l’escalier du grenier ; je m’asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l’étroite cuisine où vacillait la flamme d’une bougie.
Mais quelqu’un est venu qui m’a enlevé à tous ces plaisirs d’enfant paisible.

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Notre chambre était, comme je l’ai dit, une grande mansarde. À moitié mansarde, à moitié chambre. Il y avait des fenêtres aux autres logis d’adjoints ; on ne sait pas pourquoi celui-ci était éclairé par une lucarne. Il était impossible de fermer complètement la porte, qui frottait sur le plancher. Lorsque nous y montions, le soir, abritant de la main notre bougie que menaçaient tous les courants d’air de la grande demeure, chaque fois nous essayions de fermer cette porte, chaque fois nous étions obligés d’y renoncer. Et, toute la nuit, nous sentions autour de nous, pénétrant jusque dans notre chambre, le silence des trois greniers.

Que ces courts extraits donnent l’envie de savoir la suite et d’exaucer Alain-Fournier :
Je ne demande ni prix ni argent mais je voudrais que Le Grand Meaulnes fût lu.

 

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