Après celles de Léo Chauliac, Roger Moore, Alfred Savoir, Rémy Kolpa-Kopoul, Claude Moliterni, Arnaud Hamelin, Paul Tourenne, Emmanuel Maubert, Bernard Spindler, Michel de Boüard, Gepetto Ben Glabros, Jacques Morali, Ida Rubinstein, Rodolphe de Battine, Jeanne Bloch, Bruno Bayen et Jean-Pierre Joulin , une nouvelle sépulture inédite de célébrité…

Il est bien des façons de laisser une trace, qu’il s’agisse de mettre au jour un nouveau territoire, de publier un grand livre, de découvrir le traitement d’une maladie, de peindre avec un style révolutionnaire, de danser sur un rythme inédit ou de bâtir un empire. Autant d’occasions de prendre place dans les dictionnaires.
En revanche, voir encore son nom briller un siècle après sa mort en un des plus beaux endroits du monde et que ce nom demeure au-delà des frontières synonyme de luxe, d’élégance et de prestige se révèle un privilège accordé avec mesure par la destinée.

Fascinante trajectoire que celle d’Henri Negrescu, né à Bucarest en 1870, au moment où le pays, alors nommé « Principauté de Roumanie », vassal de l’Empire ottoman, venait de se choisir comme souverain un prince allemand désargenté, Charles de Hohenzollern-Sigmaringen, devenu « Domnitor » (prince souverain) en 1866 et qui allait devenir en 1881 le roi Carol 1er.
Sans avenir entre Moldavie et Valachie, il quitta son pays à treize ans pour venir à Paris, pauvre d’argent mais riche d’ambitions et surtout d’un état : il était fils d’aubergiste. Ascension fulgurante, le voici, Negrescu devenu Negresco, à Monte-Carlo, à Londres, commis puis maître d’hôtel puis directeur, sachant se rendre indispensable, côtoyant une élite cosmopolite où se mêlaient souverains authentiques et rois du commerce ou des affaires tels Vanderbilt ou Rockefeller.

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Directeur du restaurant du Casino municipal de Nice, il fit édifier sur la promenade des Anglais l’hôtel de luxe portant son nom. Conçu par l’architecte en vogue de la Belle Époque, Édouard-Jean Niermans, doté de luxes inouïs comme la stérilisation de l’eau par rayons ultraviolets ou la distribution du courrier directement dans les chambres par un système de pneumatique, il dépassa aussitôt en prestige les tout récents Carlton de Cannes et Normandy de Deauville. Rien n’était plus chic que d’y passer l’hiver et d’y venir admirer, dans le grand hall au sol en marbre de Carrare, le lustre de Baccarat haut de 4,60 mètres dont la réplique appartenait au tsar Nicolas II. On aimait aussi à répéter que la célèbre coupole rose de hôtel reproduisait avec fidélité le sein de la maîtresse de son propriétaire.

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De nombreuses têtes couronnées étaient présentes à l’inauguration, le 4 janvier 1913, dont aucune n’imaginait la tragédie qui allait éclater dix-huit mois plus tard. Le palace fut réquisitionné et transformé en hôpital militaire.
La paix revenue, un nouveau monde avait surgi où la mode était aux séjours estivaux, où Nice et ses galets avaient désormais moins la cote que Cannes et son sable fin.

Ruiné, Henri Negresco mourut d’un cancer à Paris le 14 mai 1920, deux mois après avoir fêté ses cinquante ans. Si son patronyme continue de briller chaque soir sur la promenade des Anglais au fronton de son ancien établissement, il passa longtemps longtemps inaperçu sur son monument funéraire, au cimetière parisien des Batignolles.

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Je l’y ai retrouvé, il y a quelques années, et n’avais pu présenter sa sépulture, que je n’ai jamais vue fleurie par quiconque, qu’à celles et ceux d’entre vous qui m’y aviez accompagné. L’information a depuis été reprise discrètement sur Internet mais à quelques jours du centenaire de sa mort, il ne me semblait pas inopportun d’écrire quelques lignes sur cet entrepreneur mort aussi pauvre qu’il était né mais en ayant gagné son pari le plus fou : se survivre.

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