Voici un anniversaire qui écrase tous les autres : on n’a pas tous les jours trois cents ans. Le 28 juin 1712, Jean-Jacques Rousseau naissait à Genève en faisant, mauvais présage, mourir sa mère.

Soixante-six ans presque jour pour jour (2 juillet 1778) après son arrivée, il quittait une planète où il avait vécu en misanthrope, avec pour rare et ultime satisfaction celle d’avoir vu mourir Voltaire, cinq semaines plus tôt. On l’enterra à Ermenonville, sur le domaine de son ami, le marquis de Girardin, précisément dans l’île des Peupliers. Dès l’automne 1794, il en était expulsé, ordre de la Convention, pour rejoindre la crypte du Panthéon… et retrouver Voltaire. Aujourd’hui encore, les deux adversaires accueillent le visiteur (plus souvent touriste que pèlerin) au bas de l’escalier, de part et d’autre de l’entrée. Rousseau est placé à droite, sous un sarcophage où se voit un bras brandissant une torche, image complétée par cette épitaphe : Ici repose l’homme de la Nature et de la Vérité.
Si Ermenonville conserve son cénotaphe, il est un autre lieu à découvrir pour éprouver avec lui une relation plus intime. Sur les hauteurs de Chambéry, près de l’église, l’ancien cimetière de Lemenc conserve le souvenir de Françoise-Louise de Warens (1699-1762) qui fut à la fois sa préceptrice et son initiatrice amoureuse. La dixième promenade, celle que la mort laissa inachevée, composant les Rêveries du promeneur solitaire, est consacrée à cette histoire dont la maison des Charmettes, encore visible, fut le cadre (Si nous ne trouvons pas le bonheur ici, il ne faut le chercher nulle part.) et à la figure de celle qu’il appelait « maman. Sa tombe a depuis longtemps disparu mais une plaque commémorative apposée sur le mur du cimetière rappelle cette présence évanouie.
Le soir ou jamais pour relire ce texte bref :
Il n’y a pas de jour où je ne me rappelle avec joie et attendrissement cet unique et court temps de ma vie où je fus moi pleinement, sans mélange et sans obstacle, et où je puis véritablement dire avoir vécu. Je puis dire à peu près comme ce préfet du prétoire qui disgracié sous Vespasien s’en alla finir paisiblement ses jours à la campagne : J’ai passé soixante et dix ans sur la terre, et j’en ai vécu sept. Sans ce court mais précieux espace je serais resté peut-être incertain sur moi, car tout le reste de ma vie, faible et sans résistance, j’ai été tellement agité, ballotté, tiraillé par les passions d’autrui, que presque passif dans une vie aussi orageuse j’aurais peine à démêler ce qu’il y a du mien dans ma propre conduite, tant la dure nécessité n’a cessé de s’apesantir sur moi.

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